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1. Dans l’action de grâce
Pour l’ensemble de la pastorale
Avec son exhortation Amoris laetitia, le pape François nous fait un cadeau. Il nous l’offre comme l’aboutissement d’un vaste processus synodal (les deux synodes des évêques de 2014 et 2015). Il nous la propose comme une invitation à la conversion et à l’engagement missionnaire, valable non seulement pour la pastorale des couples et des familles, mais également pour l’ensemble de la pastorale. Il nous invite à développer un style renouvelé de vie ecclésiale, marqué par une culture de l’accueil, de l’accompagnement, du discernement et de l’intégration à tous les niveaux de la pastorale.
Une gerbe de mercis
Ce texte pontifical nous donne l’occasion de remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ont participé à la démarche synodale dans nos diocèses. Il nous fournit la possibilité de dire merci à tous les couples et familles de notre pays, qui vivent chacun(e) à sa manière la bonne nouvelle de l’amour. L’évangile de Jésus Christ éclaire leurs histoires concrètes et singulières. Nous avons ainsi l’occasion de rendre grâce pour tous les agents pastoraux (prêtres, diacres et laïcs) et pour tous les bénévoles œuvrant déjà depuis des années au service de la pastorale familiale dans l’esprit d’Amoris laetitia.
À contextualiser et inculturer
Dans le présent document, nous nous contentons de dégager quelques orientations générales, invitant chaque diocèse et région à les inculturer plus spécifiquement dans son contexte. Nous désirons ouvrir un certain nombre de voies pour un renouvellement de la pastorale des couples et des familles, en soulignant qu’elle constitue une dimension transversale présente à la globalité des domaines de la pastorale.
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2. Un accent nouveau : apprendre à accueillir
Un appel prophétique
Le pape François promeut sans détour « l’évangile du mariage et de la famille », c’est-à-dire ce témoignage que rendent les couples et les familles dans leurs différents parcours de vie à la bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour l’humanité. Il rappelle que « en tant que chrétiens nous ne pouvons pas renoncer à proposer le mariage pour ne pas contredire la sensibilité actuelle, pour être à la mode, ou par complexe d’infériorité devant l’effondrement moral et humain. Nous priverions le monde des valeurs que nous pouvons et devons apporter. » (AL 35). Mais cette proposition ne doit pas être présentée comme une loi surplombante et finalement jugeante, mais davantage comme une lumière et comme un appel adressé à tous les hommes de bonne volonté : nous sommes toutes et tous conviés à la joie de l’amour. Car, affirme encore le pape François, « beaucoup ne sentent pas que le message de l’Eglise sur le mariage et la famille est un reflet clair de la prédication et des attitudes de Jésus, qui, en même temps qu’il proposait un idéal exigeant, ne renonçait jamais à une proximité compatissante avec les personnes fragiles, comme la samaritaine ou la femme adultère » (AL 38).
Un texte à lire et faire lire
Il vaut donc vraiment la peine de lire et de faire lire l’ensemble du texte du Saint-Père, car le langage qu’il utilise est proche du quotidien et accessible à tou(te)s. Les services de formation et de pastorale familiale pourront ainsi, par exemple, préparer de petits « guides de lecture » de l’exhortation et y retenir des citations-clés, réparties par grandes thématiques et par destinataires potentiels.
Une attitude fondamentale d’accueil
L’accent mis sur la Révélation conçue en premier lieu comme une vocation vaut pour la globalité de la pastorale. Il se traduit par un regard confiant et réaliste sur l’ensemble des situations de couples et de familles. Nous sommes invités à renoncer au rêve illusoire d’une norme qui serait en elle-même suffisante pour évaluer les différents comportements, comme de l’extérieur et sans nuances (cf. AL 35). « C’est pourquoi, tout en exprimant clairement la doctrine, il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la compléxité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition » (AL 79).
Un tel regard positif constitue l’attitude de base de l’« accueil » qui sous-tend les trois autres concepts d’accompagnement, de discernement et d’intégration. C’est la base de la pastorale dite « d’engendrement », telle que la vit Jésus dans toutes ses rencontres évangéliques : la reconnaissance que l’Esprit est déjà à l’œuvre en tout être, quel que soit le contexte dans lequel nous nous trouvions ; la valorisation des « semences du Verbe » (les semina Verbi, voir Gaudium et spes 22 et Ad gentes 11), présentes dans toutes les relations interpersonnelles (AL 76-78).
Ainsi, tout en rappelant que « le mariage chrétien, reflet de l’union entre le Christ et son Eglise, se réalise pleinement dans l’union entre un homme et une femme, qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre, s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Eglise domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société », et que «d’autres formes d’union contredisent radicalement cet idéal », le pape François affirme que « certaines le réalisent au moins en partie et par analogie, (…) et que l’Eglise ne cesse de valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseigenemnt sur le mariage » (AL 292).
Ainsi, « dans la perspective de la pédagogie divine, l’Eglise se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de façon imparfaite : elle invoque avec eux la grâce de la conversion, les encourage à accomplir le bien, à prendre soin l’un de l’autre avec amour » (AL 78).
Rendre cette bonne nouvelle désirable
Le rôle des agents pastoraux, prêtres, diacres et laïcs, est alors de « révéler », au sens photographique du terme, cette action de la grâce qui nous précède et les valeurs que portent déjà ceux que nous rencontrons. Nous sommes invités non pas à imposer, mais à rendre désirable la « bonne nouvelle de la famille » (AL 36), en nous greffant sur le « désir d’amour fidèle et de famille » qui reste vif, notamment chez les jeunes, malgré toutes les fragilités qui marquent la « culture actuelle du relatif et du provisoire »(cf. AL 39).
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3. L’intention pastorale de toute doctrine
La doctrine est don et miséricorde
En prolongement de l’année sainte du Jubilé, deux termes parcourent l’exhortation comme un leitmotiv : la grâce d’un Dieu Trinité d’amour qui se donne (AL 71-72) et la miséricorde qui implique proximité et compassion de la part de tous ceux qui se réclament du Christ (AL 297).
Le « principe miséricorde » est le « cœur battant » de la doctrine chrétienne (AL 309), parce qu’il est au centre de la « condescendance » d’un Dieu qui se rend proche de l’humanité. C’est ce principe de compassion qui fait le lien entre la « logique de l’Évangile » et de la doctrine, et la « logique de la pastorale » (AL 307-312). Comme le dit le cardinal Schönborn (Le regard du Bon Pasteur, Bex / Paris, Parole et Silence, 2016, p. 86) :
« La doctrine sans la pastorale n’est que "cymbale retentissante" (1 Corinthiens 13,1). La pastorale sans la doctrine n’est que « vue humaine » (Matthieu 16,23). La doctrine, c’est d’abord la Bonne Nouvelle : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. C’est l’annonce de la vérité fondamentale de la foi : Dieu a fait miséricorde. »
La pédagogie divine
Au lieu de les opposer en une tension irréconciliable, il s’agit donc d’articuler entre elles « la proposition d’un idéal exigeant », sans idéalisation irréaliste mais ouverte à la grâce, et « la proximité compatissante avec les personnes fragiles » (AL 35-38). Ce sont les deux versants d’une même pièce, les deux facettes d’un même mystère de gratuité : c’est la « divine pédagogie de la grâce dans nos vies » (AL 297).
Une conversion missionnaire
Comment dépasser ce genre de dilemme ? Il y faut une conversion pastorale, une « sortie réelle » (cf. Evangelii gaudium 20-26) vers des rencontres qui, dans « l’innombrable diversité des situations concrètes » (AL 300), permettent de toucher de près le « bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité » (AL 308). Il y faut des rencontres effectives avec des personnes renvoyées chacune à sa propre conscience (AL 37), ce que le pape appelle une pastorale du « corps à corps » (Lettre du pape aux évêques de la région de Buenos Aires, 5.9.2016) [1].
La plus haute tradition théologique, que le Saint-Père invoque à l’appui de sa réflexion, va dans le même sens. Saint Thomas affirme que la doctrine considérée comme une norme est insuffisante face aux situations particulières de l’existence : « Plus on entre dans les détails, plus les exceptions se multiplient » (Somme théologique, IIa-IIae, q. 94, art. 4, cité en AL 304).
Car la réalité des personnes est plus importante que les idées générales, selon l’un des quatre principes dégagés dans Evangelii gaudium (EG 231-233). La volonté de Dieu est toujours infiniment concrète, dans chaque situation. Elle ne se réduit jamais à une simple conformité aux lois morales (cf. AL 304-305), mais relève d’un accompagnement spirituel demandant que « nous acceptions vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres » (AL 308, cf. EG, n. 270).
La loi de gradualité
D’où la « loi de gradualité » (AL 293-295) qui préside à la pastorale et permet de rechercher en chaque circonstance « le bien qui est possible » (EG 44). L’enseignement de l’Église joue le rôle de panneau indicateur placé sur le chemin, pour éviter de se perdre ; l’Évangile est le sommet vers lequel nous tendons ; la force qui nous dynamise est la joie de l’Esprit au fond de notre être ; l’agent pastoral est le guide qui soutient et encourage ; le sacrement de mariage n’est pas une récompense, mais un signe précieux de l’amour de Dieu toujours réalisé de manière imparfaite : « Il ne faut pas faire peser sur deux personnes ayant leurs limites la terrible charge d’avoir à reproduire de manière parfaite l’union qui existe entre le Christ et son Église » (AL 122).
L’Écriture, compagne de voyage
Sur ce chemin, la Parole de Dieu ne se révèle pas comme une séquence de thèses abstraites, mais comme une « compagne de voyage », y compris pour les familles en crise ou en souffrance : elle montre à tous le but du chemin (AL 22).
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De là découlent un certain nombre d’attitudes et « compétences » pastorales à acquérir et développer.
4. Apprendre à regarder
La pastorale du regard
Lire les Écritures nous permet d’adopter le regard de Jésus, puisque tout le mystère de la foi tient dans l’imitation du Christ : on a la doctrine et la pastorale de son regard !
Il convient donc, pour suivre le pape François, d’apprendre à regarder en profondeur pour pouvoir nous accompagner mutuellement sur les chemins de la vie. C’est-à-dire savoir regarder l’expérience vécue au-delà de la surface, dans la pénombre des coulisses de la société et de nos maisons, au fond des consciences ; en interaction avec le monde de l’éducation et de la culture, du travail, de l’économie et de la politique ; en collaboration avec les sciences humaines, la sociologie, la psychologie et la pédagogie. C’est par ce long apprentissage que débute la « conversion missionnaire » de l’Église, à laquelle l’évêque de Rome nous convie.
Cela vaut autant du regard de chacun sur ses proches (chap. 4 et 5) que du regard pastoral ou éducateur (chap. 6 et 7) : « C’est une profonde expérience spirituelle de contempler chaque proche avec les yeux de Dieu et de reconnaître le Christ en lui » (AL 323).
À toutes les étapes
C’est ce regard contemplatif que François détaille à travers les attitudes de l’hymne de saint Paul à l’amour (caritas) (1 Corinthiens 13), égrenées comme les perles d’un chapelet (AL 90-119). La catéchèse des jeunes et toute la pastorale familiale sont invitées à cultiver ce regard sur l’amitié et l’amour au long de leurs étapes de maturation. Par exemple dans la préparation au mariage, lorsque l’amour est éclairé par la grâce du sacrement : celui-ci est vu alors comme « l’union affective » (saint Thomas, Somme théologique IIa-IIae, q. 27, a. 2) « qui inclut la tendresse de l’amitié et la passion érotique, bien qu’elle soit capable de subsister même lorsque les sentiments et la passion s’affaiblissent ». (AL 120).
Puis dans le cadre de la famille élargie, à travers les difficultés du quotidien, afin de rendre le monde « domestique et habitable ». En effet, la fraternité vécue en famille « rayonne comme une promesse sur toute la société » (AL 187-194). Enfin, sur la transformation de l’amour et de la tendresse, alors que la durée de vie s’allonge (AL 163-164).
Un regard différencié
Ainsi, nous sommes invités à poser sur la réalité un « regard différencié », tel que déjà esquissé par Familiaris consortio de Jean-Paul II (FC 84 ; cf. AL 297-300). Il convient de rejoindre les gens là où ils sont et de découvrir les éléments positifs déjà vécus par les couples et les familles, y compris celles qui n’incarnent pas l’idéal chrétien. Puis de les amener à aller plus loin, « en cherchant à les transformer [ces situations humaines] en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile. Il s’agit de les accueillir et de les accompagner avec patience et délicatesse »(AL 294).
La pastorale du « focus »
François rejette ainsi à la fois le rigorisme et le laxisme, c’est-à-dire une pastorale plus rigide qui prétend tout résoudre en appliquant les normes générales (AL 304, 308), autant qu’une pastorale de concessions qui conduirait à penser que « l’Église entretient une double morale » (AL 300 ; 2). Le nouveau « point de vue » ainsi proposé est encore plus exigeant en fait. Il requiert la capacité d’ajuster à la manière d’un « focus » l’œil de notre caméra intérieure. Avec beaucoup de mobilité de cœur. Bref, avec la nécessité permanente d’emprunter la via caritatis.
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5. Apprendre à accompagner
Dieu nous accompagne
Autre compétence pastorale à travailler, l’« accompagnement » (du latin ad-cum-panis, chercher à partager le pain avec). Cette attitude est requise parce que « la condescendance divine accompagne toujours le chemin de l’homme » (AL 62). Et du fait que Jésus Bon Pasteur ne se contente pas des 99 brebis au bercail. Il les veut toutes, il cherche la 100e (AL 309).
Un accompagnement par et pour tous
Puisque les époux, selon la tradition latine, sont les « ministres du sacrement » (AL 75), ils sont également de véritables « ministres éducatifs » (AL 85). Par la grâce du mariage, ils deviennent eux-mêmes les « principaux acteurs de la pastorale familiale » (AL 200). Il s’agit donc de miser sur les compétences des familles et de donner les moyens aux parents d’éveiller leurs enfants à la justice, la paix, la vérité, l’amour et la foi (AL, chap. 7).
De plus, c’est toute la communauté chrétienne qui est chargée de cet accompagnement pastoral (AL202 ; 206 ; 207). Car l’accompagnement mutuel dans les communautés passe par la présence contagieuse et rayonnante de jeunes couples et familles. Nos projets diocésains souhaitent donc faire de la pastorale conjugale et familiale une préoccupation « générique » et prioritaire (AL 200), et lui octroyer les ressources nécessaires pour la soutenir et la renforcer. Il est important qu’elle soit l’affaire de tous, et pas seulement de quelques spécialistes. Aussi, chaque équipe pastorale veillera à désigner en son sein un « délégué à la pastorale familiale » qui puisse porter ce souci à la base, dans chaque contexte particulier.
Un accompagnement progressif
Comme pour le « regard pastoral », l’accompagnement des couples et des familles est appelé à se moduler par étapes, en fonction des enjeux spirituels qui sont attachés à chacune d’elles. Il se déploie comme une véritable « catéchèse de cheminement » avec
– le temps des fiançailles, à revaloriser ;
– celui de la préparation du mariage, par l’acquisition des « vertus » évangéliques et l’approfondissement de la spiritualité conjugale (AL 205-216), en une sorte de « catéchuménat du mariage », intégré dans l’ensemble de l’itinéraire d’initiation chrétienne (en lien avec le baptême, la confirmation, l’eucharistie, le pardon) : les diocèses s’efforceront d’établir des standards minimaux communs, combinant des dialogues avec le célébrant et des rencontres à plusieurs couples ;
– le suivi des premières années de vie matrimoniale, à travers des formules souples de « formation continue », sur ce qui permet de vivre au mieux le quotidien (best practices), sur ce qui rend fort le couple, et par le biais de diverses formes de groupes de foyers (AL 217-230). Car le sacrement de mariage n’est pas un signal d’arrivée, mais le point de départ d’un processus de croissance. « L’une des causes qui conduisent à des ruptures matrimoniales est d’avoir des attentes trop élevées sur la vie conjugale. Lorsqu’on découvre la réalité, plus limitée et plus difficile que ce que l’on avait rêvé, la solution n’est pas de penser rapidement et de manière irresponsable à la séparation, mais d’assumer le mariage comme un chemin de maturation, où chacun des conjoints est un instrument de Dieu pour faire grandir l’autre » (AL 221) ;
– les inévitables épreuves surmontées (AL 231-238), avec parfois le retour inattendu d’anciennes blessures (AL 239-240), la vigilance envers les enfants pour qu’ils ne soient pas victimes des difficultés (AL 245-246), et finalement l’expérience du deuil (AL 253-258).
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6. Apprendre à discerner
Accompagner jusqu’au bout, en toute situation
Un tel accompagnement dans la durée requiert du doigté et de l’attention, afin d’apporter du soutien au sein des situations les plus diverses. L’accompagnement doit aller jusqu’au bout et aider à traverser les crises, au sens de moments décisifs, car chacune d’elles « cache une bonne nouvelle qu’il faut savoir écouter en affinant l’ouïe du cœur » (AL 232).
Une culture du discernement
Cela implique de mettre en place au sein de la vie ecclésiale une « culture du discernement » (dans la tradition ignatienne), notamment par rapport aux nombreuses situations particulières et complexes (AL247-252 ; 296-300).
Si la norme demeure une référence valable pour tous, c’est le rapport à la loi évangélique qui doit être constamment revu et ajusté, en considérant qu’elle ne permet pas sans autre de saisir la particularité de chaque problématique concrète (AL 304-305). En effet, les « circonstances atténuantes » permettent dans certains cas « de diminuer, voire supprimer la responsabilité personnelle » (AL 302 ; cf. Catéchisme de lʼEglise catholique CEC, n. 1735).
Éclairer la conscience
La reconnaissance des conditionnements et des complexités de l’existence doit aussi amener à mieux éveiller en pastorale la conscience morale des gens et à davantage la prendre en compte dans le discernement (AL 37 ; 222 ; 303). Le rôle des agents pastoraux consiste alors à éclairer la conscience des personnes avec qui ils cheminent et à les renvoyer constamment à cette boussole intérieure (AL298-300) : elle demeure le sanctuaire où chacun peut entendre la « voix de Dieu », à laquelle tous sont donc tenus d’obéir (Gaudium et spes 16).
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7. Apprendre à intégrer
L’Église pour tous
À la suite du pape François, nous prônons également une culture de l’intégration et de la compassion (cf. AL 296), y compris pour les couples et les familles en situation objective de rupture ou d’inadéquation à la norme de l’Église. Dans cette perspective, il est toujours possible « [qu’] on puisse vivre dans la grâce de Dieu […] et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église » (AL 305), et que dans certains cas, il puisse s’agir de l’aide des sacrements (cf. AL notes 336 et 351).
Une logique de l’intégration
Nous invitons donc à préférer en tous temps la logique de l’intégration à celle de l’exclusion : « "Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Église : exclure et réintégrer […]. La route de l’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration […]. La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère […Car] la charité véritable est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite !" » (AL 296)
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8. Quelques implications pastorales
Des propositions déjà émises
Nous avons déjà mentionné plusieurs propositions : rendre désirable la bonne nouvelle de l’amour, du mariage et des familles ; aider le maximum de fidèles à découvrir l’exhortation par des guides de lecture ; adopter un style pastoral qui privilégie l’accueil et l’attention à chaque situation ; accompagner jusqu’au bout, discerner et éclairer les consciences, intégrer les personnes, quelles que soient leurs situations.
Nous souhaitons d’abord intensifier ce qui existe déjà : les projets diocésains de pastorale familiale et de préparation au mariage ; les offres de catéchèse d’adultes pour aider les parents à exercer leur ministère éducatif (dans le sens de l’empowerment) ; les groupes de foyers.
Formation à l’écoute et à l’accompagnement
Puis nous désirons renforcer la formation initiale et permanente des agents pastoraux à l’écoute, à l’accompagnement pastoral et spirituel différencié, dans notre Église intégrative et bigarrée. Cela pourra passer par des sessions de formation diocésaines ou cantonales consacrées à cette thématique, par des parcours alliant formation au discernement, relecture de pratiques et supervision.
Collaborations interdisciplinaires
Cela exigera des collaborations interdisciplinaires avec d’autres intervenants que des théologiens, des spirituels ou des pasteurs (psychologues, thérapeutes, juristes), afin de permettre de mieux approcher les réalités familiales concrètes dans leur infinie diversité.
Permanence d’écoute
Cela débouchera sur la désignation, dans chaque équipe pastorale ou région, d’un responsable local de la pastorale familiale, collaborant étroitement avec les services cantonaux et diocésains. Puis sur l’ouverture éventuelle de permanences d’écoute, de centres de discernement conjugal et familial, pour favoriser une réelle proximité et une pastorale du « corps à corps ».
Groupes d’accompagnement
Et cela peut conduire à la création de groupes d’accompagnement et de partage de la p(P)arole pour personnes seules, divorcées, divorcées remariées, homosexuelles, etc. ; mais aussipour celles séparées ou divorcées voulant rester dans la fidélité à leur conjoint, comme il en existe déjà.
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9. Conclusion : un parcours de croissance pour tous
L’Exhortation Amoris laetitia du pape François se présente ainsi comme la mise en œuvre de Vatican II et de son attention à notre condition historique dans le domaine de la pastorale familiale. Les mots « temps, chemin, croissance, maturation, parcours, processus » reviennent sans cesse : la construction de l’amour est une dynamique à accompagner avec finesse et persévérance. Elle vaut pour chacun(e) de nous, au nom de notre égalité baptismale foncière. « Aucune famille n’est une réalité céleste et constituée une fois pour toutes, mais la famille exige une maturation progressive de sa capacité dʼaimer. Il y a un appel constant qui vient de la communion pleine de la Trinité, de la merveilleuse union entre le Christ et son Église » (AL 325).
D’où ce cri qui clôt le document, nous pressant à ne jamais désespérer du travail de la grâce : « Tous, nous sommes appelés à maintenir vive la tension vers un au-delà de nous-mêmes et de nos limites. […] Cheminons, familles, continuons à marcher ! Ce qui nous est promis est toujours plus » (AL 325). C’est à l’accompagnement avec patience des étapes possibles de croissance des personnes que doit s’employer notre pastorale. Pour ouvrir la voie « à la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible » (AL 308, EG 44).
St. Niklausen (OW), le 5 septembre 2017
Les évêques et les abbés territoriaux de Suisse