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vendredi, 03 février 2017

La joie de l'Amour du Pape François, impossible à interpréter ? La conscience comme source d'interprétation

La joie de l'Amour du Pape François, impossible à interpréter ?

La focalisation des synodes de la famille autour de la question de la communion des personnes divorcées remariées est un piège. François l'a toujours dit. Cependant, force est de constater que la réception de l’exhortation apostolique post-synodale « La joie de l’Amour » ou "Amoris Laetitia " (AL) se réduit eccléisalement et médiatiquement à cette question. 

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Des conférences épiscopales (d’Argentine, de Malte, d’Allemagne … ) émettent des normes qui semblent parfois contredire les propos authentiques du Pape. Le Cardinal Müller, préfet pour la congrégation de la foi, a tout récemment répondu à ces décisions épiscopales dans une revue. Sa prise de position a été reprise par l'agence romaine I.Media.

Avec le filtre médiatique qui présente François comme un Pape de rupture et le déferlement de propos contradictoires entre cardinaux, la confusion est grande. Certains la sème largement sur internet.

Honnêtement, nous ne savons parfois plus trop ce qu'il faut penser. Aurions-nous rien appris de Saint Jean-Paul II puis de Benoît XVI ? Leur brillant pontificat nous laisse un héritage lumineux, notamment sur la conscience. 

Unknown.jpegFrançois engendrerait la confusion ? « son texte sur la famille n'est qu'une méditation personnelle, qui n'engage pas l'Eglise » pensent les uns. « Le Pape a enfin abattu le mur d'intolérance d'une Eglise fermée et rétrograde » affirment les autres.

L'élection du Pape François peut-être faussement vue comme une revanche des déçus du Pape Benoît XVI, afin de renverser sa théologie conservatrice. Une erreur funeste.  

Pas facile d'aller à la source de la pensée du Saint-Père, tant chacun semble jouer sa propre partition, sans se préoccuper d'une vision d’ensemble.

En prenant la conscience comme clé de lecture, comme fil rouge, essayons d'y voir plus clair. 

Tout d’abord AL ne sort pas du néant. Ce document magistral, cette mine pastorale s’inscrit dans le riche patrimoine de l’Eglise. Un document à lire et à relire ! Les Ecritures ne sont pas toujours très claire et pourtant il s'agit de la Parole de Dieu. Le Magistère de l'Eglise nous donne les moyens d'une authentique interprétation. Ce sont plutôt les différentes herméneutiques qui portent à la confusion. 

Le blog italien « Come Gesù » tente d’énumérer une liste des différentes interprétations d'AL. Il discerne quatre groupes:

- le premier est, d’une manière assez nette, contraire à AL: les représentants les plus extrêmes soutiennent, bien que le Pape dise le contraire, qu’en réalité il désire changer l’enseignement de l’Eglise. Selon eux, en pratique, la vraie indissolubilité n’existe plus. Ce ne sont pas seulement les tenants de Mgr Lefebvre qui soutienne cette position, mais différents catholiques rigoristes qui, pour ne pas tomber dans le paradoxe de devoir dire que le Pape est hérétique, tentent de soutenir qu’AL n’a pas le rang d’un texte du Magistère. Les dubia des quatre cardinaux, dont le Cardinal Burke, se rangent dans ce premier groupe.

- un second groupe se limite à offrir des discours généraux qui applaudissent l’exhortation papale ou des synthèses du document et qui pointent du doigt certains aspects sans toutefois entrer dans le chapitre VIII (accompagner, discerner, intégrer -situations irrégulières)

- un troisième groupe est simplement enthousiaste de la nouveauté et dit substantiellement: il y a des années que nous donnons la communion aux personnes divorcées remariées, et donc finalement le Pape également dit que cela peut se faire.

- un quatrième groupe, toutefois moins nombreux, souligne avec des arguments difficiles et bien réfléchis que le Pape ne change pas la doctrine sur le mariage, mais change l’attitude pastorale: cela concerne le fameux « discernement », ou encore mieux la vision du cas par cas qui cherche à intégrer les personnes dans la communion avec Jésus.

Je me range dans le quatrième groupe avec la conviction que la conscience joue un rôle clé pour une juste compréhension du texte papal. La conscience est au coeur du débat et oriente l’interprétation d’AL.

Cette agitation et cette confusion médiatique provient de différentes conceptions de la conscience. Ces dernières restent malheureusement l’une des causes d’un schisme interne à l’Eglise, comme le démontre le refus de la liberté religieuse définit par le Concile Vatican II.

Cheminer pour prendre conscience de notre situation devant Dieu

La loi de la gradualité, déjà présente dans l’encyclique sur la morale de Saint Jean Paul II, est développée et approfondie par le Pape François. Cette itinéraire, cette prise de conscience procèdent par petits pas. François précise bien : « Il s’agit d’un itinéraire d’accompagnement et de discernement qui « oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu. Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église et sur les étapes à accomplir pour la favoriser et la faire grandir. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio , n. 34) ».

"Pour qu’il en soit ainsi, il faut garantir les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite ».

Ces attitudes sont fondamentales pour éviter le grave risque de messages erronés, comme l’idée qu’un prêtre peut concéder rapidement des ‘‘exceptions’’, ou qu’il existe des personnes qui peuvent obtenir des privilèges sacramentaux en échange de faveurs. Lorsqu’on rencontre une personne responsable et discrète, qui ne prétend pas placer ses désirs au-dessus du bien commun de l’Église, et un Pasteur qui sait reconnaître la gravité de la question entre ses mains, on évite le risque qu’un discernement donné conduise à penser que l’Église entretient une double moral". (AL 300)

Ceci exprime clairement que l'enseignement moral de l'Eglise n'a pas changé. François n'est pas un Pape de rupture, mais celui qui poursuit, selon les propres mots de Benoît XVI en 2005, l'herméneutique de la réforme. 

La pédagogie du petit pas

devotion_therese_4.jpgSainte Thérèse de Lisieux est une sainte très chère au Pape François. Dans ses écrits, elle raconte son expérience en face de l’escalier de la sainteté. Elle  comprend que l'ascenseur divin viendra la chercher. Alors, elle reste petite et lève son petit pied. AL reprend en filigrane cette expérience de vie. 

Pour le Cardinal Schönborn, le mot central d'AL est la "pédagogie": « Le Pape François est jésuite, il est pédagogue, il a enseigné longtemps, il a exercé la fonction de pédagogue, et on le sent dans tout ce document. Lisez le chapitre sur l’éducation, le chapitre 5, et mettez-le en rapport avec le chapitre 8, sur comment accompagner les situations difficiles, les situations irrégulières. Et vous verrez qu’il y a une grande proximité.

Ce qu’il dit sur l’éducation de la conscience : ne pas penser que la conscience s’éduque en mettant partout des panneaux d’avertissement, mais de l’éveiller. Donc, pour moi, le terme clé de ce document, c’est l’accompagnement, c’est cette attitude pédagogique d’un père avec ses enfants, d’un maître qui accompagne des jeunes dans la croissance. D’où l’importance du mot croissance. Se réjouir des petits pas de croissance : ça, c’est tout à fait sa pédagogie ». Pour l'archevêque de Vienne, AL opère la synthèse entre Saint Thomas (la morale de vertus) et Saint Ignace de Loyola (le discernement).

Saint Augustin: "mieux vaut marcher en boitant vers la vie éternelle, que de courir adroitement vers l'enfer".

AL décline en profondeur cette pédagogie des petits pas qui nous donne de gravir les marches une par une. Ces citations d'AL montre encore une fois cette pédagogie du Pape: 

Rappelons-nous, qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés » (AL305)

Dans le livre "le nom de Dieu est Miséricorde", Andrea Tornielli raconte une jolie anecdote. Avant l'édition du livre François a demandé de changer une de ses phrases: "La médecine existe, la guérison aussi, si seulement nous faisons un petit pas vers Dieu". Après une relecture, le Pape demande à Andrea Tornielli d'écrire plutôt : " ... ou avons au moins le désir de faire ce petit pas".

Maturation personnelle, petit pas, loi de la gradualité ou plan incliné, voilà les nouveaux mots d'AL: "J’invite les fidèles qui vivent des situations compliquées, à s’approcher avec confiance de leurs pasteurs ou d’autres laïcs qui vivent dans le dévouement au Seigneur pour s’entretenir avec eux. Ils ne trouveront pas toujours en eux la confirmation de leurs propres idées ou désirs, mais sûrement, ils recevront une lumière qui leur permettra de mieux saisir ce qui leur arrive et pourront découvrir un chemin de maturation personnelle. Et j’invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Église" (AL 312).

Le Pape François nous exhorte: ni rigorisme, ni laxisme.

Pour résoudre cet affrontement entre le laxisme et le rigorisme, le cardinal Müller préconise de lire Amoris laetitia dans son ensemble, et non pas seulement quelques “petits passages“. Une note de bas de page du chapitre VIII du document, sur les situations de couples fragiles, provoque des interprétations différentes.

Pour les tenants du rigorisme moral, la loi divine joue un unique rôle. Ils la conçoivent comme purement extérieure (la Loi de Dieu, ou  « théonomie »). De leur côté les tenants du laxisme ne veulent surtout pas de cette volonté, de cette norme extérieure à l’homme, vue comme une aliénation de la liberté. La conscience personnelle est alors conçue comme un rempart créateur qui protège contre ce totalitarisme ecclésial.

Dans son Encyclique sur la morale « Veritatis Splendor », Saint Jean-Paul II parle plutôt d'une « théonomie participée » (Veritatis Splendor n°41), une loi divine à laquelle nous participons, « car l’obéissance libre de l’homme à la Loi de Dieu implique effectivement la participation de la raison et de la volonté humaines à la sagesse et à la providence de Dieu ».

Même vision chez Benoît XVI: "le Pape n'impose rien de l'extérieur, car sans la conscience il n'y aurait pas d'Eglise. Cette dernière est un service à la conscience, qui est un organe, comme la capacité de parler qui croît et grandit lorsque quelqu'un parle à l'enfant; ainsi la conscience a besoin de quelqu'un d'extérieur à elle-même qui la motive et la rende forte et solide. L'homme est sous la protection de Dieu et le gouvernant illuminé est devenu l'Etat-tyran, de fait totalitaire …  ». Chez les grecs, Antigone résista au tyran « étatique » qui lui refusait d’ensevelir son frère.

Nous voyons ainsi  s’affronter deux tendances: les tenants de la seule Loi divine (qui conduit au rigorisme des pharisiens) et les tenants de la conscience personnelle créatrice (qui conduit au laxisme). Le Pape François ne promeut ni l’une, ni l’autre. Le Père S. Pinckaers a renouvelé l’enseignement de la morale, soit quitter la morale de la loi ou de l'obligation et redécouvrir la morale des vertus, du bonheur, celle de la somme théologique. Pour ce Père dominicain, Saint Thomas d'Aquin décrit l'homme comme étant "viator", en marche vers la vie éternelle. Saint Thomas accorde également une place centrale à la conscience. 

Vertitatis Splendor de Saint Jean-Paul II cite ainsi la sagesse de l’Ancien Testament: « Dieu a laissé l’homme à son conseil (Siracide 15,14), afin qu’il cherche sont Créateur et qu’il parviennent librement à la perfection". 

“Ceux qui parlent trop“

Le cardinal Müller remarque que “le magistère du pape est à interpréter seulement par lui, ou à travers la Congrégation pour la doctrine de la foi“. “Ce ne sont pas les évêques qui interprètent le pape“, précise-t-il, car cela constituerait une “inversion de la structure de l’Eglise catholique“.

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"A ceux qui parlent “trop“, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi conseille ainsi “d’étudier d’abord la doctrine sur la papauté et l’épiscopat“. En tant que “maître de la Parole“, un évêque doit être le premier à être “bien formé“, pour ne pas risquer d’être “un aveugle qui guide d’autres aveugles“. François s'exprime également dans ce sens: «il manque souvent aux ministres ordonnés la formation adéquate pour traiter les problèmes complexes actuels des familles» (AL 202)

Le cardinal Müller précise ensuite que pour un catholique, il ne peut y avoir de contradiction entre la doctrine et la conscience personnelle : c’est “impossible“. Voyons pourquoi.

La conscience chez le Cardinal Newman: le premier vicaire du Christ

Le cardinal béatifié par Benoît XVI est sans aucun doute le plus éminent théologien de la conscience. Il lui accorde la première place, sans nullement exclure le rôle de formation de la conscience par l’Eglise. La conscience et l'Eglise sont faites pour entrer en harmonie.

Unknown.jpeg"La conscience est la messagère de Celui qui, dans le monde de la nature comme dans celui de la grâce, nous parle à travers le voile, nous instruit et nous gouverne. La conscience est le premier de tous les vicaires du Christ." (Newman, lettre au duc de Norfolk, chapitre 5)

Sa célèbre citation au Duc de Norfolk continue de faire couler beaucoup d'encre: le bienheureux écrit: "si j'étais forcé d'introduire la religion dans un toast après le dîner (ce qui, en vérité, ne me semble pas la chose la meilleure), je porterais un toast, si vous voulez, au Pape; en fait, à la conscience d'abord, puis au Pape" .

"Certainly, if I am obliged to bring religion into after-dinner toasts (which indeed does not seem quite the things) I shall drink – to the Pope, if you please, -still, to Conscience first, and to the Pope afterwards ».

Selon le Concile Vatican II (Gaudium et Spes 16), la conscience est un sanctuaire, inviolable et sacrée.

« La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. C’est d’une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s’accomplit dans l’amour de Dieu et du prochain. Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale.

Plus la conscience droite l’emporte, plus les personnes et les groupes s’éloignent d’une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité. Toutefois, il arrive souvent que la conscience s’égare, par suite d’une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l’on ne peut dire lorsque l’homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l’habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle.

* Pie XII, Message radioph. De conscientia christiana in iuvenibus recte efformanda, 23 mars 1952 : AAS 44, p. 271.

Un sanctuaire fait référence à une présence divine, un lieu sacrée, habité et inviolable. Dans un radio message de 1952, le Pape Pie XII fut le premier à prendre cette image de sanctuaire. Elle est reprise par le Concile Vatican II. Le lien qui existe entre la liberté de l’homme et la Loi de Dieu se noue dans le coeur de la personne, c’est à dire sa conscience morale. Nous retrouvons la thénomie participée: « au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal résonne au moment opportun dans l’intimité de son coeur « Fais ceci, évite cela ». (Veritatis Spendor)

La lettre de Newman au Duc de Norfolk est une hymne à la conscience. Afin de montrer l’harmonie entre la conscience et l’Eglise, deux citations retiennent encore mon attention:

- « On ne verra jamais un pape, dans un document officiel adressé à tous les fidèles, porter atteinte à la doctrine très grave du droit d’obéir à l’autorité divine s’exprimant par la Voix de la conscience. Car en vérité c’est sur cette Voix de la conscience que l’Eglise elle-même est fondée".

- « Si le pape se prononçait contre la conscience, il se suiciderait, il ferait crouler le sol sous ses pieds. Il n’a pas d’autre mission que de proclamer la loi morale, et de confirmer “celle lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ».

(Newman, lettre au Duc de Norfolk)

L'Eglise et la conscience sont faites pour entrer en harmonie, comme l'écho et le son. Saint Thomas d’Aquin affirme que nous sommes tenus de suivre et d'écouter notre conscience; nous devons en même temps former notre conscience. Les questions sont identiques: que dit notre conscience ? Elle est un oeil, qui n’invente pas la lumière, mais la reçoit. Nous devons aussi apprendre à nous demander: comment va notre conscience ? Elle peut être erronée, mal formée et déformée. AL tient compte de cette fragilité. Le Pape François affirme: « l’Eglise ne se substitue pas à la conscience ».

Jimimy Cricket devient la conscience de Pinocchio

Walt Disney a repris la célèbre histoire de Pinocchio de Carlo Collodi, auteur italien. Au début du film, le dialogue entre Pinocchio et Jiminy Cricket est simplement magistral, et pas du tout enfantin: « la conscience, qu’est-ce que c’est  ?" demande le pantin en bois.  « C’est cette petite voix que personne n’écoute. C’est le grand chancelier de la connaissance du bien et du mal » répond Jiminy. Par sa bénédiction, Jiminy Cricket devient la conscience de Pinnochio.

Ce dernier ira même jusqu’à lui envoyer un marteau sur la tête pour l'assommer et le faire taire. Il était agacé et voulait rester sourd à la voix de sa conscience. Nous avons parfois la même tentation avec l’Eglise: lui taper dessus afin qu’elle se la ferme ! En fait, Saint Jean-Paul II disait déjà: "ce n'est pas l'Eglise, le Pape qui interdit le mal, c'est notre conscience". 

A part Dieu et nous-même, le prêtre est le seul qui puisse avoir un accès au sanctuaire de la conscience, dans le sacrement du pardon. Personne n'y entre sans notre assentiment. Le Pape François invite justement les prêtres à donner ce pardon de Dieu. AL lève le voile sur ce fin et doux dialogue, ce colloque intérieure qui se déroule dans l'intimité de la conscience.  

L'Etat, l'Eglise, tout autre pouvoir s'arrêtent devant elle. Seul le prêtre peut entrer dans ce lieu sacrée, un sanctuaire. Une fois le pardon donné, la conscience garde son secret et se referme dans un silence absolu et sacré. Le prêtre est au service du sanctuaire de la conscience, comme il est au service de l'autel, le sanctuaire où lui seul peut entrer pour le sacrifice de la Messe. 

Sur la question de l’accès aux sacrements pour les personnes divorcées-remariées, le Cardinal allemand Müller réaffirme la doctrine traditionnelle de l’Eglise, celle contenue dans la Sainte Ecriture ainsi que dans l’exhortation Familiaris Consortio (1981) de Jean Paul II. A savoir la nécessité de vivre comme frères et sœurs pour les personnes divorcées-remariées qui souhaitent communier. “Aucun pouvoir dans le ciel ou sur terre, ni un ange, ni le pape, ni un concile, ni une loi des évêques n’a la faculté de le modifier“, précise-t-il encore.

AL et la conscience comme sanctuaire

Pour aller communier, nous sommes tous placés devant la voix de notre conscience: suis-je en état de grâce ? soit sans péché grave ou mortel ? L'Eglise discerne trois conditions pour un péché mortel: matière grave (10 commandements, dont l'adultère), pleine connaissance et plein consentement. Parfois, il n'y a "que" la matière, mais pas la pleine connaissance, d'autre fois il n'y a pas le plein consentement; un classique dans l'enseignement de l'Eglise.

Nous sommes tous dans cette situation. Cessons donc de stigmatiser certaines personnes, comme les homosexuels ou les divorcées remariées. Cette obsession ne fait pas grandir. Il y a d'autres péchés (ne pas payer ses employés, fermer son coeur aux réfugiés, calomnier son frère ...)

AL décline également l'imputabilité ou non d'une personne vivant dans une situation irrégulière: 

En ce qui concerne ces conditionnements, le Catéchisme de l’Église catholique s’exprime clairement : « L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux ». Dans un autre paragraphe, il se réfère de nouveau aux circonstances qui atténuent la responsabilité morale, et mentionne, dans une gamme variée, « l’immaturité affective, […] la force des habitudes contractées, […] l’état d’angoisse ou [d’]autres facteurs psychiques ou sociaux ».

C’est pourquoi, un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée. Au regard de ces convictions, je considère très approprié ce que beaucoup de Pères synodaux ont voulu soutenir : « Dans des circonstances déterminées, les personnes ont beaucoup de mal à agir différemment […]. Le discernement pastoral, tout en tenant compte de la conscience correctement formée des personnes, doit prendre en charge ces situations. Les conséquences des actes accomplis ne sont pas non plus nécessairement les mêmes dans tous les cas » (AL302)

Là se pose cette épineuse question: dans une nouvelle union irrégulière, faut-il mettre en péril le "couple" qui doit rester uni pour le bien des petits enfants ? La note 329 d'AL est capitale: "dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter ‘‘comme frère et sœur’’ que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité « la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis » (Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 51).

AL poursuit: "À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église (AL305)"

Cette aide peut être une bénédiction, une prière, et aussi, avec la présence d'une volonté de conversion, l'aide des sacrements (l'absolution sacramentelle, qui ouvre à la communion). "Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur » : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013). Je souligne (ndlr: le Pape François) également que l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles " (note 351 d'AL)

Une lecture patiente, droite et attentive, replacée dans le contexte et avec les textes et citations, montre que le Pape François ne remet nullement en cause l'enseignement morale de Saint Thomas, Saint Jean-Paul, de Benoît XVI, du catéchisme de l'Eglise catholique. AL va simplement plus en profondeur dans le discernement des situations de souffrance, afin de discerner ce petit pas (Sainte Thérèse de Lisieux), l'ouverture de la porte du coeur, pour que la personne ne reste pas à terre, sans bouger, dans une situation fixée et figée, mais qu'elle puisse trouver l'aide de la grâce, parfois des sacrement (intervient alors le discernement), pour se relever et cheminer. 

"Par conséquent, un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église « pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées » (AL305).

François le reconnaît: « nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile » (AL 362).

Afin d'interpréter correctement AL, le cardinal Müller affirme avec clarté que pour un catholique, il ne peut y avoir de contradiction entre cette doctrine et la conscience personnelle : c’est “impossible“. Par cette excursus sur la conscience, nous en comprenons la raison.

Par exemple, développe-t-il: “on ne peut pas dire qu’il y a des circonstances selon lesquelles un adultère ne constitue pas un péché mortel“. Car le péché mortel ne peut “coexister“ avec la grâce sanctifiante". 

Il est clair que si la personne s'installe, revendique sa situation et ne désire pas bouger, alors l'aide des sacrements sera malheureusement  impossible et inutile. Une prière et une bénédiction sont alors souhaitées, comme l'indique d'ailleurs le Pape dans son livre avec Andrea Tornielli, "le nom de Dieu est Miséricorde": 

images-1.jpeg"... ouvrez-leur les bras et soyez miséricordieux, même si vous ne pouvez pas les absoudre. Donnez-leur une bénédiction, quoi qu'il en soit. Une de mes nièces s'est mariée, civilement, avec un homme dont le précédent mariage n'avait pas encore été annulé par la justice. Ils voulaient se marier, ils s'aimaient, ils souhaitaient des enfants, ils en ont trois.

Le juge avait même attribué à l'homme la garde des enfants, nés de son premier mariage. Un homme extrêmement pieux, qui allait à la messe tous les dimanches, qui se confessait et disait au prêtre: "Je sais  que vous ne pouvez pas me donner l'absolution, mais j'ai péché en ceci et cela, donnez-moi une bénédiction". C'est cela, un homme religieusement formé."
(Le nom de Dieu est Miséricorde, pp 39-40. - Lien I.Media)

Dans sa réponse, le Cardinal Müller demande justement aux évêques d'étudier et de se former, religieusement. 

AL s'est fait l'écho de cette harmonie qui se réalise entre la conscience et l’Eglise. Le préfet de la congrégation de la foi replace AL dans le patrimoine de l’Eglise, car AL ne propose pas une nouvelle norme générale, mais donne une nouvelle attitude, celle de la Miséricorde, qui est accueillante pour tous et pour chacun. La primauté de la conscience (premier vicaire du Christ) et la formation de la conscience dans la fidélité à l’Eglise (en union avec le vicaire du Christ, le Pape) ainsi que le discernement des situations de souffrances sont des aspects fondamentaux. "Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles» (AL 37)

Pour interpréter loyalement le texte du Pape, je me suis simplement basé sur le sanctuaire de la conscience. Comme l'indique l'étymologie, "cum scientia", un savoir partagé. La conscience n'est pas seule, isolée et purement subjective. La voix de la conscience résonne dans notre sanctuaire,  notre intériorité, comme l'écho de la voix de Dieu. Les anciens parlait d'un "Deus in nobis".

De même, avec le contexte. Une citation ne peut jamais être isolée, seule. Il faut la placer dans et avec son ensemble, soit le patrimoine spirituel et moral de l'Eglise. 

La petite file du confessional

Le Pape va se confesser devant les caméras et les photographes du monde entier. L’interprétation d’AL s'accomplit au confessionnal ou chacun vient avec sa vie difficile. Va-t-on encore rencontrer la douce Miséricorde de Dieu dans ce lieu de grâce ? Et très sincèrement, les premiers à nous refuser la communion, c'est nous-mêmes, lorsque nous n'allons pas à la Messe tous les dimanches.

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Avouons-le, lorsque la file du confessionnal sera plus longue que la file de la communion, AL aura été interprétée et implantée dans notre pastorale avec sagesse, patience et Miséricorde.

Commentaires

Bravo! Il est grand temps de le dire et de la faire savoir! Pour que le pontificat du pape François ne soit prisonnier de personne, en particulier de celles et ceux qui disent l'admirer et interprètent tout ce qu'il dit ou ce qu'il fait à une lumière qui n'est pas celle de l'enseignement de l'Eglise. Et qu'il ne soit pas prisonnier, non plus, de personnes qui confondent leurs opinions avec la Tradition avec un grand T. Personnellement, je suis beaucoup plus agacé par le premier groupe que par le second, parce qu'il me semble que le second groupe existe dans des cercles restreints, actifs sur internet, peut-être, mais dont l'aura est fort limitée, tandis que le premier groupe a de nombreux représentants de partout, depuis les plus petites paroisses jusqu'à des postes déterminants de conférences épiscopales, où des tas de lubies et autres dysfonctionnements sont mis sur le compte d'une application - simple et humble, naturellement - de ce que demande le pape... comme c'est commode!

Écrit par : C.J | samedi, 04 février 2017

Je pense en effet que le Pape François est encore plus déformé que Benoît XVI. C'est très complexe ... si nous prions, lisons l'enseignement de l'Eglise, avec l'héritage de Saint Jean XXIII, le bienheureux Paul VI, Saint Jean-Paul II et Benoît XVI, nous aurons les clés de lecture de ce pontificat. Car François n'est nullement ce Pape de rupture. Rupture comme celle souhaitée par Kasper and Co, ou Burke and Co. Deux facettes qui ne reflètent pas notre Pape.

Écrit par : Don Dom | samedi, 04 février 2017

Bonjour,
Tiens, tiens, voilà encore un exemple où, finalement, il s'agit toujours de "triturer" les sacrements pour les mettre au service de ses lubies, de ses soi-disant bonnes intentions, et en se cachant derrière le pape. C'est affligeant, c'est même carrément minable.
* * * * NOUVEAU Jeudi, 9 février 2017. Au cours d’une interview télévisée, le Cardinal Walter Kasper a déclaré que “dans certains cas, l’intercommunion entre protestants et catholiques est possible s’ils partagent la même foi dans l’Eucharistie et si leur conscience leur dicte d’aller communier au même autel.” Et le Cardinal d’ajouter : “Je pense que c’est la position du pape actuel.”

Écrit par : C.J | jeudi, 09 février 2017

Il se trompe notre Cardinal ... quel dommage . Je ne sais pas pourquoi certains pensent à la place du Pape ... il est assez grand me semble-t-il.

Le Pape pense comme l'Eglise.

Écrit par : Don Dom | jeudi, 09 février 2017

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