dimanche, 10 avril 2016
Amoris laetitia et les personnes divorcées remariées: oui l'Eglise veut ouvrir une porte, mais laquelle ?
C'est officiel, le pape François entrouvre une porte de l'Église qui était jusque-là fermée aux divorcés remariés.
Lien Le Figaro
Cette petite phrase résume un peu le chaos médiatique qui suit la publication du document du Pape sur la famille.
Amoris laetitia et les personnes divorcées remariées: oui l'Eglise veut ouvrir une porte, mais laquelle ?
François invite au discernement et surtout à la lecture du document avec patience, sans conclure hâtivement.
Le changement est bien plutôt une conversion; du côté de l'Eglise tout est ouvert; mais oui, ceux qui percevaient l'Eglise comme fermée, bornée, sans coeur et sans chaleur humaine peuvent heureusement espérer ce réchauffement. Le Pape François a la voix et le ton rassurants et bons ! Cependant, avouons-le, la porte ouverte doit surtout et d'abord être la nôtre.
Le Pape "du petit pas"
"La médecine existe, la guérison aussi, si seulement nous faisons un petit pas vers Dieu". Après une relecture, le Pape demande à Andrea Tornielli d'écrire plutôt : " ... ou avons au moins le désir de faire ce petit pas".
Pape François, le nom de Dieu est Miséricorde
Cette petite phrase, bonne, réaliste et très humaine, doit comme couronner toutes les pages d'Amoris laetitia.
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Le Pape veut ouvrir les portes de la conscience
L'ambiance médiatique n'est que probable, un peu comme la météo. Très honnêtement, pour la publication de l'exhortation apostolique post-synodal du Pape François "Amoris laetitia" - la joie de l'Amour - j'avais plutôt prévu un clash, ou un basculement négatif avec les grands médias.
Très sincèrement, je m'attendais à la fin de la lune de miel entre les grands médias et François. Je pensais que les gros titres seraient plutôt: le Pape déçoit les attentes de millions de catholiques. Le Blick, journal zurichois, va tout de même dans ce sens. Le premier bilan ne peut être que nuancé. Bonnes nouvelles: les relations avec le monde de la communication continuent et c'est réjouissant (cat.ch). L'Eglise catholique est attractive et intéressante ! Quelle bonne nouvelle !
Toutefois, la première conséquence me semble plutôt une grande confusion et un chaos assez général. Tout le petit monde de la communication s'est jeté sur les passages concernant les personnes divorcées remariées pour repérer un changement, une révolution. Une fois vu le mot "sacrement possible", les titres ont fusé: changement radical, révolution ...
Par le truchement de la communication, François devient celui qui a enfin ouvert une brèche, qui a entrouvert la porte aux personnes divorcées remariées. Ratzinger était l'homme intangible, le gardien de la porte fermée, celle du dogme et de la morale. Bergoglio est celui qui fait bouger les lignes et basculer les portes.
On pardonne tout au Pape François ! Il a beau être en harmonie avec Saint Jean Paul II et Benoît XVI, on tente de le cacher pour bien le dissimuler. Il peut parler du diable, on lui pardonne. Il peut parler avec le leader d'Ecône, la FSSPX intégriste, Mgr Fellay, il ne se voit nullement accuser de vouloir faire pencher l'Eglise à droite. Le Pape est bien devenu une sorte d'icône, un intouchable, un objet commercial qui se vend bien.
La porte de l'Eglise est ouverte depuis 2000 ans
Avec cette exhortation, François n'a pas ouvert la porte de l'Eglise, car elle est toujours ouverte, mais invite à discerner l'ouverture des coeurs. L'Eglise vit une année sainte, avec les portes saintes largement ouvertes dans les cathédrales du monde entier.
Un signe assez éclatant: Jésus a le coeur transpercé, éclaté et ouvert pour tous et pour chacun. Jésus a les bras grands ouverts sur la croix; et on pense que soudainement l'Eglise tend enfin une main aux personnes divorcées remariées. Elle le faisait depuis toujours.
François rappelle:
Il est important de faire en sorte que les personnes divorcées engagées dans une nouvelle union sentent qu’elles font partie de l’Église, qu’elles ‘‘ne sont pas excommuniées’’ et qu’elles ne sont pas traitées comme telles, car elles sont inclues dans la communion ecclésiale. ... il faut encourager leur participation à la vie de la communauté. Prendre soin d’eux ne signifie pas pour la communauté chrétienne un affaiblissement de sa foi et de son témoignage sur l’indissolubilité du mariage, c’est plutôt précisément en cela que s’exprime sa charité.
L'Eglise a toujours invité à cette attitude de bonté et d'ouverture.
Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde ‘‘imméritée, inconditionnelle et gratuite’’. Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile.
La porte ouverte est celle du coeur
Le Pape François, tel un bon Pasteur, cherche à ouvrir la porte des coeurs, car il est un théologien de la vie, un homme qui veut cheminer avec les personnes. L'ouverture n'est donc pas du côté de l'Eglise, mais bien du côté de la porte de nos coeurs. La vie c'est le mouvement disent les philosophes, dès lors la vie chrétienne c'est la conversion. La vie est un mouvement qui nous fait quitter l'obscurité du péché pour entrer dans la lumière de la grâce.
Pour la délicate question des personnes divorcées remariées, le Pape rappelle point pour point que la communion ou la confession ne sont pas des trophées, des récompenses donnés aux uns plutôt qu'aux autres. Pas de double morale. D'ailleurs nous sommes tous fragiles, boiteux, hésitants, avec nos croix et nos joies.
A ce propos, cessons de stigmatiser les personnes qui souffrent d'une divorce, car le commandement de communier en état de grâce est valable pour tous et chacun: avant de communier, chacun doit examiner sa conscience à la lumière de l'Esprit Saint pour lui demander si nous sommes bien en état de grâce.
Tout ce qu'a écrit l'Eglise sur ce sujet sensible, douloureux et délicat demeure.
Afin d’éviter toute interprétation déviante, je rappelle que d’aucune manière l’Église ne doit renoncer à proposer l’idéal complet du mariage, le projet de Dieu dans toute sa grandeur ...
Pour le Pape François, l'enseignement classique que les personnes divorcées remariées ne peuvent pas avoir accès aux sacrements est toujours valable (lien).
Penser que désormais, les personnes divorcées remariées peuvent communier ne correspond nullement au texte du Pape. "L’idée qu’un prêtre peut concéder rapidement des ‘‘exceptions’’, ou qu’il existe des personnes qui peuvent obtenir des privilèges sacramentaux en échange de faveurs" est bel et bien une fausse conception.
Le Pape poursuit :"Je ne me réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent. Bien entendu, si quelqu’un fait ostentation d’un péché objectif comme si ce péché faisait partie de l’idéal chrétien, ou veut imposer une chose différente de ce qu’enseigne l’Église, il ne peut prétendre donner des cours de catéchèse ou prêcher, et dans ce sens il y a quelque chose qui le sépare de la communauté (cf. Mt 18, 17). Il faut réécouter l’annonce de l’Évangile et l’invitation à la conversion".
François descend plus en profondeur dans notre fragilité humaine: "je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif, « ne renonce pas au bien possible, même [si elle] court le risque de se salir avec la boue de la route ». Les Pasteurs, qui proposent aux fidèles l’idéal complet de l’Évangile et la doctrine de l’Église, doivent les aider aussi à assumer la logique de la compassion avec les personnes fragiles et à éviter les persécutions ou les jugements trop durs ou impatients.
Les Père synodaux ont affirmé que, même si l’Église comprend que toute rupture du lien matrimonial « va à l’encontre de la volonté de Dieu, [elle] est également consciente de la fragilité de nombreux de ses fils ». Illuminée par le regard de Jésus Christ, elle « se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien, pour prendre soin l’un de l’autre avec amour et être au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent ».
D’autre part, cette attitude se trouve renforcée dans le contexte d’une Année Jubilaire consacrée à la miséricorde. Bien qu’elle propose toujours la perfection et invite à une réponse plus pleine à Dieu, « l’Église doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, en leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière du phare d’un port ou d’un flambeau placé au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu leur chemin ou qui se trouvent au beau milieu de la tempête. N’oublions pas que souvent la mission de l’Église ressemble à celle d’un hôpital de campagne.
Si l'enseignement de l'Eglise continue d'éclairer les consciences inquiètes, qu'est-ce qui a changé ? Le mot changement n'est pas adéquat, car il faut parler d'approfondissement, de continuité et surtout de discernement. Nous marchons pas à pas vers le Seigneur, dans la durée, avec une ascension progressive, comme un montagnard qui connaît des chutes et des relèvements. L'Eglise parle alors de la gradualité.
Premier approfondissement : le discernement
L''accent est mis sur la recherche de la porte ouverte du coeur
"Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l'obligation de bien discerner les diverses situations" disait déjà Saint Jean-Paul II, dans son exhortation apostolique Familiaris Consortio de 1981.
Le maître mot du Pape François vient de Saint Ignace de Loyola: discernement. Amoris laetitia aide justement à discerner ou percevoir cette porte ouverte du coeur:
Rappelons-nous qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés ». La pastorale concrète des ministres et des communautés ne peut cesser de prendre en compte cette réalité.
Second approfondissement: la loi de la gradualité
On ne nait pas saint, on le devient peu à peu. Comme un sportif, le regard du chrétien est fixée vers l'objectif, vers l'arrivée. Un sportif s'entraîne avec patience, avec des hauts et des bas. Il rejoint avec patience son but, jamais d'un coup, mais graduellement, par étape.
Dans ce sens, saint Jean-Paul II proposait ce qu’on appelle la ‘‘loi de gradualité’’, conscient que l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d'une croissance ».[323] Ce n’est pas une ‘‘gradualité de la loi’’, mais une gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi.
En effet, la loi est aussi un don de Dieu qui indique le chemin, un don pour tous sans exception qu’on peut vivre par la force de la grâce, même si chaque être humain « va peu à peu de l'avant grâce à l'intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l'homme »
Troisième approfondissement: le petit pas
Personne n'est exclu de l'Eglise. Chacun doit y trouver une place !
Certes, parfois « nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile ».
Par conséquent, un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église « pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées ».
À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église.
Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur ». Je souligne également que l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles »
Le Pape est très explicite: si un personne désire pratiquer ce que l'Eglise enseigne, avec des petits pas, progressivement, peu à peu, comme sur un plan incliné, alors les sacrements sont une grande aide. Il s'agit toujours de discerner cette petite porte ouverte ! Par contre si la personne s'installe et refuse de bouger, elle se ferme à la grâce.
Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu.
Rappelons-nous qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés ». La pastorale concrète des ministres et des communautés ne peut cesser de prendre en compte cette réalité.
La nouveauté: le langage intimiste de l'Eglise, car le Pape parle à notre intimité, presque comme au confessionnal
Que mes amis les journalistes me pardonnent, car je les aime tout comme leur noble travail, mais ils n'ont pas accès au confessionnal. Et là, dans ce lieu qui n'est pas une salle de torture mais un haut lieu, la communication de l'Eglise ne passe plus par les studios de télévision ou de radio, ni par les journaux ou les agences de presse, ni sur Twitter et sur Facebook ou sur les blogs, mais entre Dieu et la personne, dans une communication intime, personnelle, amoureuse, délicate et miséricordieuse avec Jésus le Christ, doux et humble de coeur.
Alors oui, nous les chrétiens nous ne sommes pas parfaits. Nous avons pu nous montrer fermés, insensibles. Cela doit changer.
Cela nous offre un cadre et un climat qui nous empêchent de développer une morale bureaucratique froide en parlant des thèmes les plus délicats, et nous situe plutôt dans le contexte d’un discernement pastoral empreint d’amour miséricordieux, qui tend toujours à comprendre, à pardonner, à accompagner, à attendre, et surtout à intégrer. C’est la logique qui doit prédominer dans l’Église, pour « faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes.
L'Eglise est la famille des familles
Le Pape nous encourage:
J’invite les fidèles qui vivent des situations compliquées, à s’approcher avec confiance de leurs pasteurs ou d’autres laïcs qui vivent dans le dévouement au Seigneur pour s’entretenir avec eux. Ils ne trouveront pas toujours en eux la confirmation de leurs propres idées ou désirs, mais sûrement, ils recevront une lumière qui leur permettra de mieux saisir ce qui leur arrive et pourront découvrir un chemin de maturation personnelle.
Et j’invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Église.
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Commentaires
Je remercie le très Saint Père. En tant que divorcés et remariés depuis 38 ans, mon mari et moi avons fait le chemin dans l'église et avons compris l'importance du sacrement du mariage et nous en témoignons. Merci ! Nous avons des moments d'adoration chaque semaine devant le Seigneur Cette heure passée en Sa Présence à lui parler, lire les Saintes écritures, méditer, ne remplace certe pas l'Eucharistie, mais en reconnaissant que nous n'en sommes dignes, Il nous vient à l'esprit que le Seigneur nous sourie et nous aime. Ste Thérèse de l'Enfant Jésus écrivait : "Si j'avais commis tous les péchés du monde, j'irais le cœur brisé me repentir dans les bras de Jésus, car je sais combien il chérit l'enfant prodigue qui revient à Lui".
Écrit par : Sarrazin | mardi, 12 avril 2016
Merci de tout coeur pour votre précieux témoignage ! Merci pour votre commentaire. Oui, je dis aussi merci avec vous au Pape pour cet excellent document, qui ne fait qu'ouvrir un long et beau chemin, bien que difficile, pour l'avenir des familles dans notre monde et dans l'Eglise.
Écrit par : Don Dom | mardi, 12 avril 2016
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