Les éditions SPI viennent de publier un livre sur la pénurie de prêtres diocésains en Suisse. La partie analytique avec les résultats commentés est rédigée par Roger Husistein, collaborateur scientifique de l’Institut suisse de sociologie pastorale, à Saint-Gall, qui est à l’origine de cet ouvrage. Ce dernier comprend aussi des essais d’Arnd Bünker, Marc Donzé, Daniel Kosch, Pierre-Yves Maillard, Thomas Ruckstuhl et Martin Werlen.
Un manque
«Ces dernières années, une préoccupation se fait de plus en plus lancinante: Il s’agit de l’évolution de l’effectif des prêtres», explique Roger Husistein qui constate: «Incontestablement, depuis quelques décennies, toujours moins d’hommes sont ordonnés prêtres sous nos latitudes et le nombre de ces derniers a manifestement chuté.» Depuis 1970, le nombre des prêtres diocésains incardinés dans les évêchés suisses a diminué de près de la moitié. Et depuis 1991, on constate un recul d’un peu plus de 30%. «La diminution a été particulièrement sensible dans les diocèses de Bâle, Sion et Saint-Gall.» Si l’on prend l’ensemble des évêchés suisses, le nombre de prêtres diocésains est passé de 2877 en 1970 à 1441 en 2009. Dans le diocèse de Sion le nombre de prêtres résidants est passé de 243 en 1970, à 224 en 1980, à 196 en 1991, à 166 en 1998 et à 139 en 2009, soit une baisse de 29,1% de 1991 à 2009. Au cours des dix dernières années, on a enregistré en Suisse 143 ordinations sacerdotales et plus de 500 décès de prêtres diocésains. Autrement dit, les prêtres qui meurent sont trois fois plus nombreux que ceux qui sont ordonnés. Pour Roger Husistein «il faut s’attendre ces prochaines années aussi à un nouveau recul du nombre des prêtres diocésains».
Diocèse de Sion
Si l’on considère les ordinations de prêtres diocésains rattachés à l’évêché de Sion, elles étaient de 12 entre 1990 et 1994, de 13 entre 1995 et 1999, de 5 entre 2000 et 2004, de 3 entre 2005 et 2009. Cela fait un total de 33 ordinations entre 1990 et 2009. La pyramide des âges des prêtres diocésains pose problème et autorise certains pronostics. Ainsi, l’âge moyen des prêtres diocésains en Suisse se situait, à fin 2009, à tout juste 65 ans. Un prêtre diocésain sur deux a dépassé l’âge de la retraite! Dans le diocèse de Sion, le nombre de prêtres ayant plus de 65 ans était en 2009 de 64 pour un total de prêtres incardinés de 128 et il y a en Valais 160 communes avec un clocher! Et pourtant la situation est meilleure en Valais qu’ailleurs avec une moyenne d’âge des prêtres de 62,9 ans! Coire, Sion et Lugano se distinguent nettement des autres diocèses dans la mesure où, parallèlement à un grand nombre de prêtres diocésains âgés, le groupe des prêtres plus jeunes y est relativement important, dit l’étude. A l’heure du pronostic, Roger Husistein explique néanmoins qu’un nouveau recul de l’effectif des prêtres diocésains est plausible.
D’ici 2029
Selon l’étude il se peut, par exemple, qu’au cours des prochaines décennies, les évêchés de notre pays fassent appel encore plus fortement qu’aujourd’hui à des prêtres ou des candidats à la prêtrise étrangers afin de compenser partiellement le recul des effectifs. L’étude a fait un pronostic sur les diocèses suisses en 2029 avec pour présupposé que le nombre des ordinations sacerdotales correspondra à celui des dix dernières années et que le taux de mortalité des prêtres correspondra à celui de la dernière décennie. Le résultat de ces projections peut se résumer ainsi: le nombre des prêtres diocésains diminuera encore dans tous les évêchés suisses au cours des vingt prochaines années. En 2029, il y aura 37% de prêtres en moins qu’aujourd’hui. «Depuis 1991, le nombre de prêtres diocésains aurait ainsi chuté de plus de la moitié.» Pour le diocèse de Sion, l’étude table sur 77 prêtres en 2029, soit une diminution de 62,3% entre 1991 et 2029. Et il n’y aurait plus dans le diocèse de Sion en 2029 que 54 prêtres de moins de 75 ans, ainsi que 36 prêtres de moins de 65 ans... En 2019, ce sera 49 prêtres de moins de 65 ans. Tout ceci aura des répercussions profondes sur les structures pastorales connues jusqu’ici.
Pourquoi?
Roger Husistein avance quelques pistes pour expliquer la crise des vocations et souligne que quasiment aucune recherche de sciences sociales n’a été consacrée à ce phénomène. Il explique: «Il y de bonnes raisons de partir de l’idée que la faiblesse de la relève des prêtres est étroitement liée aux mutations qui se sont produites dans la société et dans l’Eglise en général au cours des dernières décennies. A l’évidence, il ne saurait s’agir d’un phénomène dû à une cause unique.» Il ajoute: «Les changements intervenus au sein de la société se reflètent par un fort recul de la pratique religieuse, par un analphabétisme religieux croissant, ainsi que par une sécularisation de la société au sens d’un affadissement de l’autorité normative des Eglises.» L’auteur relève: «Une autre caractéristique de l’effritement du milieu ecclésial est la tendance à une déconfessionnalisation des grandes Eglises en Suisse. Dans la mouvance œcuménique, c’est depuis Vatican II, le tronc commun chrétien sur lequel on a tendu à insister.» Autres raisons: moins de familles nombreuses, l’individualisme, la disparition des petits séminaires, la survenance de diverses religiosités, l’incompréhension du célibat consacré, etc. L’étude explique enfin que le Concile Vatican II a mis en avant le ministère épiscopal et reconnu au laïc sa qualité de sujet dans l’Eglise, mais que le prêtre s’est retrouvé dans une sorte d’errance.
Encadré
Une crise occidentale
A fin 2008, seul un quart des catholiques vivaient en Europe, tandis que plus de 40% résidaient en Amérique latine. Les catholiques africains représentent désormais 15%. L’étude montre que pour les prêtres les effectifs de prêtres ont reculé de 25% en Amérique du Nord depuis 1980 et de 20% en Europe. Par contre, dans la même période, les effectifs de prêtres ont plus que doublé en Asie et en Amérique latine, voire quadruplé en Afrique. Même en Europe les différences sont frappantes sur trente ans. Alors qu’en France et aux Pays-Bas le nombre de prêtres diocésains a diminué de plus de moitié, le recul a été moindre dans d’autres pays comme l’Allemagne (- 27%), l’Autriche (- 30%) et surtout l’Italie (- 18%). Une augmentation a même été mesurée en Tchéquie/Slovaquie (+ 4%) et surtout en Pologne (+ 56%).