Le pape a rencontré, mardi à Santiago, des victimes d’abus sexuels.
Mais pour les associations, les paroles du pape « ne servent à rien si des actions ne suivent pas ».
Le pape François a rencontré, mardi, à la nonciature apostolique de Santiago du Chili, « un petit groupe de victimes d’abus sexuels perpétrés par des prêtres », a annoncé le porte-parole du Saint-Siège Greg Burke. Cette rencontre « s’est déroulée dans un cadre strictement privé ». « Personne d’autre n’était présent : seulement le pape et les victimes. Cela afin qu’elles puissent raconter leurs souffrances au pape François, qui les a écoutées et a prié et pleuré avec elles. »
Cette rencontre est intervenue alors que, quelques heures plus tôt, dans un discours au Palais de la Moneda, François avait dit, devant les autorités et la société civile chilienne sa « douleur » et sa « honte » face aux abus sexuels commis par des membres du clergé, demandant pardon aux victimes.
Cette nouvelle prise de parole contre la pédophilie a été toutefois accueillie fraîchement par les associations de victimes qui venaient de tenir un congrès à Santiago où elles ont annoncé la création d’un réseau international de victimes de prêtres pédophiles.
« Ce n’est pas la première fois que le pape emploie ces mots », relève le Britannique Peter Saunders qui se dit scandalisé par le fait que le pape a concélébré la messe avec tous les évêques chiliens, dont Mgr Juan Barros, un évêque chilien accusé de ne pas avoir dénoncé des abus sexuels.
« C’est un affront aux victimes », affirme cette victime d’abus sexuels et ancien membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs dont il a démissionné avec fracas en 2016.
« Le pape peut parler encore et encore, cela ne sert à rien si des actions ne suivent pas ses paroles », explique José Andrés Murillo, directeur de la fondation Pour la confiance.
Lui-même victime de Fernando Karadima, cet ancien curé d’une paroisse d’un quartier huppé de Santiago qui s’est révélé un redoutable prédateur sexuel et qui, dénoncé en 2004, n’a été renvoyé de l’état clérical qu’en 2011 ayant bénéficié de la clémence de plusieurs évêques. José Andrés Murillo regrette que les paroles du pape ne se traduisent pas plus en actes.
« Chez les jésuites, j’ai appris que l’amour doit se démontrer par des actions plus que par des paroles », raconte cet ancien novice de la Compagnie de Jésus dont François est lui-même issu. « Le pape a le pouvoir de changer les choses dans l’Église. Il peut chasser les prêtres sur lesquels pèse une suspicion d’abus sexuels. Il peut aussi renvoyer tout évêque ou supérieur religieux qui a couvert de tels abus. S’il ne le fait pas, c’est qu’il n’y a pas une vraie volonté », accuse-t-il.
Particulièrement en cause, la nomination, en 2015, de Mgr Juan Barros à la tête du diocèse d’Osorno : cet ancien disciple de Karadima est notamment accusé d’avoir été présent lors d’un des nombreux abus perpétrés par l’ancien prêtre et de s’être tu, même si les preuves de ces accusations font toutefois défaut.
Alors que, s’adressant aux prêtres dans la cathédrale de Santiago, le pape François a évoqué « la suspicion et la remise en cause » et « le manque de confiance » que les prêtres ont dû affronter, José Andrés Murillo estime que « le pape semble oublier la douleur des victimes et se préoccuper plus de la souffrance des prêtres qui ont perdu la confiance des gens ».
Dans son discours aux prêtres, le pape avait néanmoins évoqué aussi la « douleur pour le mal et la souffrance des victimes et de leurs familles, qui ont vu trahie la confiance qu’elles avaient placée dans les ministres de l’Église ».
« Pour moi, demander pardon, c’est une façon de neutraliser la voix de ceux qui, au-delà du pardon, veulent un changement réel dans l’Église », ajoute José Andrés Murillo, appelant à mettre fin au cléricalisme.
« Les abus sexuels ne sont qu’une forme d’abus de pouvoir : lutter contre les abus sexuels, c’est aussi remettre en question les différentes dynamiques de pouvoir au sein des communautés », explique-t-il. Un sujet sur lequel il rejoint le pape François, qui a d’ailleurs appelé mardi les évêques chiliens à lutter contre« toute forme de cléricalisme ».
Mais, là encore, « il manque une cohérence entre les mots et la réalité », estime José Andrés Murillo, qui reproche à François de ne pas avoir voulu écouter les fidèles du diocèse d’Osorno révoltés contre la nomination de leur évêque.
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