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lundi, 10 avril 2017

Tout savoir sur le célibat des prêtres avec Jean Mercier

Tout savoir sur le célibat des prêtres avec Jean Mercier

Déjà auteur du roman à grand succès "Monsieur le curé fait sa crise", Jean Mercier connaît bien l'histoire du célibat des prêtres. En pleine Semaine Sainte, une bonne lecture en vue du Jeudi Saint, fête des prêtres. 

A lire : Cochini jésuite, le célibat remonte aux temps apostoliques - Le célibat des prêtres et les médias, le marronnier - L'abbé Laurent Touze et l'avenir du célibat

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Arrêtons de nous focaliser sur le manque de prêtres. C’est le manque de chrétiens, des "vrais", qui est l’urgence.

 

Il faut rappeler qu’il n’y a aucun lien causal entre le célibat et la pédophilie. 

 

On sait moins que l'ordination d’hommes mariés était assortie d’une contrainte stricte de continence sexuelle, depuis l’origine de l’Eglise, Orient et Occident confondus..

 

 

source: Facebook de Jean Mercier

Je viens de recevoir ce message sur mon portable :"Bonsoir monsieur, Étudiante en journalisme, je travaille sur une enquête dont le sujet est : l'autorisation du mariage pour les prêtres résoudrait-elle les problèmes liés à la vocation et, en poussant plus loin, à la pédophilie ? En tant qu'auteur d'un livre qui évoque cette problématique, votre avis m'intéresse beaucoup..."

Ma première réaction est de me prendre le front des deux mains, mais ma deuxième réaction est évidemment de dire oui à une telle demande, en tant qu’auteur du livre “Célibat des prêtres, la discipline de l’Eglise doit-elle changer ?”(DDB). Cette question de l’étudiante en journalisme est celle qui - malheureusement - trotte dans les têtes de 99% des habitants de notre pays.

Comme je vais le démontrer ci après - cette question empile les confusions et fait des raccourcis qui sont redoutables. Il est vrai que cette semaine, nous avons eu droit à l’affaire Gaschignard et à la suspension d’un prêtre dans mon diocèse de l’Eure pour des problèmes liés à la pédophilie. Voilà qui fait beaucoup.

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1/ Premièrement, l’expression du “mariage” des prêtres est source de confusion. De quoi parle-t-on ? D’ordonner des hommes mariés ? On le sait, la chose a été pratiquée de façon courante jusqu’à la fin du 11e siècle dans l’Eglise catholique de rite latin (occidentale), puis a été stoppée, à mon avis pour de bonnes raisons (la réforme grégorienne a été bénéfique, si l’on en juge par la fécondité spirituelle et architecturale du 12e siècle). On sait moins que cette ordination d’hommes mariés était assortie d’une contrainte stricte de continence sexuelle, depuis l’origine de l’Eglise, Orient et Occident confondus.

Ce n’était pas facile et c’est pour cela que le célibat a été finalement rendu obligatoire en Occident. De leur côté, les Eglises d’Orient ont décidé à la fin du 7e siècle que cette continence ne s’appliquerait plus qu’aux évêques, qui devaient être célibataires. C’est la règle qui prévaut encore dans les Eglises orthodoxes et dans les Eglises catholiques orientales, où il existe des prêtres mariés. Il existe aussi environ 300 à 400 prêtres mariés dans l’Eglise catholique latine (d’anciens ministres de la Réforme, j’en parle dans mon livre de façon abondante). Mais la réalité est qu’être prêtre marié et père de famille n’est ni une sinécure, ni la panacée pour répondre à la crise des vocations.

2/ Deuxièmement, l’Eglise catholique n’a jamais permis que l’on puisse se marier après l’ordination sacerdotale (ou diaconale). Les Eglises orthodoxes et les Eglises catholiques orientales ne le permettent pas davantage. La seule tradition qui permet aux “prêtres” (hommes et femmes) de se marier après l’ordination est l’Anglicane. Mais en fait, ici, le terme de “prêtre” prête à confusion : si les prêtres anglicans aiment à porter la soutane (oui, et les femmes ne sont pas en reste !) la théologie de la prêtrise anglicane est alignée sur la théologie du pasteur protestant (même chose pour leur épiscopat).

Le principe d’airain, donc, chez les Catholiques latins ou orientaux, est qu’on ne change pas d’état après l’ordination. D’ailleurs, tous les hommes mariés qui sont ordonnés diacres permanents ou prêtres (c’est plus rare, mais il y en a, lisez mon livre !) s’engagent au célibat si jamais ils deviennent veufs. J’en connais à qui c’est arrivé.

C’est donc dommage pour ceux qui pensent que l’on devrait faire quelque dérogation pour des prêtres qui sont obligés de quitter le ministère parce qu’ils sont tombés amoureux, comme David Gréa par exemple (faisant référence à Amoris Laetitia pour l’accès au sacrements après la rupture d’un mariage indissoluble). Mais à ce compte là, autant décréter tout de suite la fin de l’engagement solennel au célibat. En effet, le fait de savoir qu’on pourrait éventuellement obtenir une dérogation si on rencontre un jour “la” Princesse charmante s’oppose à un engagement pour toute la vie.

3/Troisièmement : ce principe précédent, qui a toutes les apparences de l’inhumanité, s’appuie justement sur une grande connaissance de l’humanité. Imaginez un peu une paroisse où arriverait un jeune (ou moins jeune) prêtre célibataire. Parce qu’il serait potentiellement un coeur à prendre, il serait l’objet de mille et une spéculations - et donc rumeurs - sur sa propension à se marier. Sa vie deviendrait un enfer (et pas que la sienne !). C’est d’ailleurs sur ce ressort dramatique puissant que repose la réussite de la série télévisée Grantchester (à voir sur Netflix), qui raconte avec brio les aventures de coeur du Révérend Sidney Chambers, sur fond d’enquêtes policières. C’est très réussi, mais quelles tourmentes dans l’âme de cet homme (l’épisode où son copain flic veut lui trouver une femme est mythique !).

A voir pour pour se convaincre, s’il en était besoin, que le célibat sans retour est gage de paix, pour l’Eglise, le prêtre et le peuple de Dieu. L’Eglise catholique est pleine de sagesse… (on rappellera ici que chez les Anglicans, on pousse gentiment les prêtres à convoler avant l’ordination, pour les raisons que je viens de mentionner. C’est déjà si compliqué, les premières années de ministère... que ce n’est pas la peine d’y rajouter des affaires de coeur !)

4/ Quatrièmement, si l’Eglise catholique se refuse à ce que ses prêtres puissent se marier après leur ordination, alors qu’elle a déjà ordonné des hommes déjà mariés, c’est parce qu’elle sait que ce ministère de prêtre est très difficile, soumis à des combats très rudes. Elle veut, avant de conférer l’ordination à un homme marié, savoir qui est la partenaire féminine de l’homme qu’elle va instituer comme prêtre, c’est-à-dire dépositaire du sacerdoce du Christ, ce qu'elle a dans le ventre, si je puis dire.

Certes, c’est l’homme seul qui reçoit l’ordination, mais il est clair qu’il s’agit d’un partenariat conjugal lorsque l'Eglise ordonne des hommes mariés, ce qu'elle ne fait qu'avec circonspection, s'étant assurée de la solidité de ce couple. L’Eglise catholique est trop experte en humanité - en d’autres termes, elle connaît trop les faiblesses et limites humaines - pour lâcher un prêtre célibataire “dans la nature”, qui serait amené éventuellement à convoler sans qu’elle, l’Eglise, ait son mot à dire au sujet de la femme qu’il choisit... Cela peut apparaître comme de la misogynie ou un manque de confiance (les Anglicans et les protestants sont plus cool...) mais rappelons que les Eglises issues de la Réforme ne considèrent pas le mariage comme un sacrement et permettent le divorce puis le remariage.

Nombre de pasteurs sont divorcés et remariés sans que cela n’altère leur crédibilité. Mais en l’occurrence, la théologie du ministère pastoral y est très différente de celle du sacerdoce dans l’Eglise catholique (ou orthodoxe) où le prêtre est un tenant-lieu symbolique du Christ, et il "est" même le Christ "en personne" quand il célèbre les sacrements de l'Eucharistie, de la confession et de l'onction des malades. ce qui n'est pas rien !

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5/ Il faut rappeler qu’il n’y a aucun lien causal entre le célibat et la pédophilie. La plupart des actes pédophiles ont lieu dans les familles et impliquent des hommes mariés. Il faut aussi cesser de penser que le mariage serait une sorte de “remède” à la pédophilie, qui est une perversion très particulière et très complexe. De même que le mariage ne peut en rien être un remède à la solitude d'un homme ou d'une femme. Ceux qui l’ont cru s’en sont vite rendu compte ! On ne peut pas instrumentaliser ainsi le mariage.

6/ Le problème du manque de vocations est très complexe, comme je l’ai étudié dans mon livre. Certes, la perspective de ne pas être père, de vivre une vie solitaire et génitalement “inexistante” peut peser lourd dans la balance et amener des hommes qui auraient toutes les qualités pour être prêtres à renoncer à cette vocation. On trouvera aisément des centaines de gars qui ont sérieusement songé à devenir prêtre et qui ont réalisé que le célibat n’était pas leur voie.

Rappelons ici cependant que Dieu n’appelle pas ceux qui seraient les “meilleurs” pour Le servir comme prêtres (de la même manière, les laïcs ne sont pas de qualité inférieure, ils sont appelés à autre chose qui est tout aussi important que la prêtrise). La logique selon laquelle Dieu appelle des prêtres à son service nous échappe. Tâchons de penser cet appel vocationnel en dehors des logiques technocratiques de notre société, qui parlent de potentiel, de performance et d’optimisation des talents.

Par ailleurs, je souligne ici que les hommes jeunes sont étrangement absents des professions à fort engagement humain et à faible salaire - magistrats, profs, infirmiers, éducateurs - ce que j’appelle des métiers de type sacerdotal ! Ils préfèrent être ingénieurs, banquiers, médecins, avocats et gagner de l’argent. Rien à juger ici, c’est seulement une constatation.

La vocation religieuse, c’est aussi le syndrome du NIMBY : Not In My BackYard. Le catho bon teint veut des prêtres, mais surtout si c’est dans famille du voisin. Surtout pas son fils !

7/ Arrêtons de nous focaliser sur le manque de prêtres. C’est le manque de chrétiens, des "vrais", qui est l’urgence.

8 Pour finir, je dirais que je ne suis pas surpris du fait que les gens ignorent les logiques internes au catholicisme, et projettent donc une vision de type mécaniste sur le manque de vocations (“si je fais ceci ou cela, je règle le problème”). Ce manque de compréhension est vertigineux car il révèle que les gens nous regardent et nous évaluent selon leurs grilles de lecture qui sont très influencées par la politique ou l'économie (conservateur/progressiste par exemple, solution/problème) alors que l’Eglise se comprend elle-même selon une autre échelle de valeurs.

Au fond, c’est ce fossé qui est réellement inquiétant, car beaucoup de choses qui nous semblent importantes deviennent illisibles à nos contemporains. Et parfois à ceux d’entre nous, qui, bien que catholiques, perdons de vue la réalité théologale des choses (je pense ici à l’ontologie du prêtre) pour nous aligner sur une approche trop technocratique.

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