vendredi, 10 février 2017
"François, seul contre tous": interview du journaliste suisse Arnaud Bédat
Dans l'avion avec François, vers l'Arménie en 2016. @Arnaud Bédat
"François, seul contre tous": interview du journaliste suisse Arnaud Bédat
- Arnaud Bédat, après votre premier livre "François l'Argentin" vous sortez ce nouvel ouvrage "François, seul contre tous". Donnez-nous d'abord des nouvelles de votre premier écrit ? Par ailleurs, y a-t-il un lien entre les deux ?
« François l’Argentin », qui a eu une belle vie éditoriale et de belles traductions, était un espèce de « road movie » à travers Buenos Aires, où le lecteur cheminait dans des endroits forts marqués de la présence de Jorge Mario Bergoglio et de rencontres avec les amis et proches du pape. C’était un bouquin finalement très argentin, avec ses odeurs, ses couleurs, un espèce de long reportage sur 200 pages sur les traces d’un homme pas comme les autres. Le Vatican passait au second plan.
Ce nouvel ouvrage, lui, est différent : on retrouve certes, évidemment, certains intervenants de « François l’Argentin », mais les témoignages sont remis en perspective, replacés dans le contexte, et complétés par de nombreux autres. Et puis, surtout, ce nouveau livre aborde les quatre premières années à Rome, ce que le premier livre ne faisait pas, mêlant intrigues et complots en tous genre. Je dis souvent en rigolant que c’est un peu mon « Da Vinci Pope ». C’est une blague, évidemment, très bergoglienne, qui ne serait sans doute pas pour lui déplaire, lui qui adore les blagues. Mon récit n’est évidemment ni imaginaire ni romancé, tout ce que je rapporte est vrai et vérifié.
C’est un livre de journaliste de terrain, allant à toutes les sources, interrogeant, cherchant, recoupant… Il n’était pas question d’écrire un énième livre sur le pape, mais d’avoir des sources originales, à travers des dizaines d’interlocuteurs, dont certains n’avaient jamais parlé, des documents inédits ou très peu connus, comme certaines de ses homélies argentines...
- Pourquoi avoir choisi ce titre " François seul contre tous. Enquête sur un Pape en danger" ? L'impression médiatique largement majoritaire reste tout de même fort positive. Avec cette popularité exceptionnelle et cette médiatisation hors du commun, comment imaginer qu'il pourrait être en danger ?
Il faut d’abord bien sûr comprendre « seul contre tous au Vatican ». Mais avec des ennemis très aguerris. Qu’on retrouve pour la plupart dans cette Curie romaine (où il y a aussi des gens formidables, il faut le préciser!) dont il connaissait mal le fonctionnement en arrivant à Rome.
Des luttes de pouvoir, d’influence, entre conservateurs gardiens de la doctrine, pas vraiment ouverts à « une Eglise pour tous », et les réformateurs, plus ouverts, prêts à suivre le pape dans ses inlassables combats, contre la pauvreté dans le monde et toutes les injustices – mais ils sont plutôt rares et jouent parfois un double-jeu. François regarde le monde comme un Argentin, cette évidence n’est jamais mis en avant. Vous ne pouvez comprendre le pape François si vous ne plongez pas dans son parcours à Buenos Aires et n’avez compris tous les événements auxquels il a été confronté et comment il les a traversés.
C’est un homme qui s’est toujours battu. Son passé explique le présent et donne les clés du futur. Il n’a pas changé en arrivant à Rome, il le dit lui même. Et mon livre dresse enfin l’état des lieux des menaces, nombreuses, qui pèsent sur lui. Non seulement à l’intérieur du Vatican mais aussi à l’extérieur, bien évidemment. Je vous rappelle qu’il a quand même notamment échappé de peu à un attentat aux Philippines, déjoué quelques heures seulement avant son arrivée...
- Vous avez pu monter à bord l'avion papal. Vous êtes même le journaliste suisse le plus proche de François, et vous connaissez sa famille, ses amis en Argentine. Comment pourriez-vous décrire sa personnalité ?
C’est un homme terriblement attachant. Avec un charisme fort, une vraie profondeur et une belle lumière dans le regard, une simplicité qui n’est pas feinte. Je mesure la chance que j’ai eu de pouvoir l’approcher, notamment durant des voyages pontificaux, sans être bien évidemment intime avec lui, mais je suis déjà tellement heureux quand il me reconnaît ! Vous savez, il est vraiment ce qu’il montre.
- François décline la Miséricorde dans toute son ampleur. Il dégage une forte impression de bonté, de tendresse et de pardon. Peut-il toutefois se montrer ferme dans ses décisions, voir dur dans son gouvernement ?
Il peut être d’une très grande dureté, il tranche dans le vif, il peut limoger quelqu’un sans ménagement, comme il l’a fait par exemple avec Daniel Anrig, le commandant de la Garde suisse, à la fin de 2014… C’est aussi un leader, qui donne des ordres et qui, comme un chef d’entreprise, surveille que le travail soit bien fait. Et sur le plan mondial, devant des chefs d’Etat, si besoin est, il n’a pas la langue dans sa poche non plus. Il peut dire clairement les choses dans l’intimité des conversations privées. En public, il peut montrer des signes d’irritation manifestes, aussi, parfois, mais il faut bien l’observer pour s’en rendre compte.
- Bertrand Piccard, dont vous avez couvert les exploits, évoquait comme "une main invisible", certes positive, qui le guidait providentiellement dans son tour du monde en ballon. Derrière les lumières des caméras, des flashs et des smartphones, quelles seraient les oppositions qui empêcheraient François d'atteindre son but ? François est-il vraiment si seul ? Qui se cacheraient derrière ces tous ?
C’est un pape qui dérange, pour reprendre le titre de mon excellente consoeur Virginie Riva, d’Europe 1, qui publie elle aussi un livre qu’il faut lire (aux éditions de l’Atelier) ! Donc, un pontife qui nourrit des rancoeurs, des haines, des jalousies féroces. Quand vous dérangez, on va tenter de vous dénigrer, vous diffamer, vous marginaliser, vous mettre la tête sous l’eau, vous faire disparaître d’une manière ou d’une autre. C’est exactement ce qui lui arrive.
On n’hésite pas à répandre les pires calomnies, à faire circuler des rumeurs, à monter des opérations de nuisance contre lui. Les ennemis ne relâchent jamais la garde…
- Honnêtement, rien ne vous prédestinait à couvrir l'actualité du Vatican. Greg Burke, le directeur actuel de la salle de presse du Saint-Siège, disait franchement que ce Pape pouvait changer nos vies. Au plus profond de vous-même, qu'est-ce qui a déclenché cette enquête ?
De fait, il a un peu changé la mienne aussi ! En tout cas pour quelques années. Oui, vous avez raison, rien ne m’y prédestinait.
Tout a commencé le 13 mars 2013, sur la place St-Pierre de Rome, après l’apparition du pape au balcon. Le soir même, mon journal, L’Illustré, me demandait de partir pour Buenos Aires. Et après, le virus m’a pris… De solides amitiés se sont nouées en Argentine. Notamment avec Maria Elena, la sœur du pape, un petit bout de femme pour laquelle j’ai beaucoup d’affection et une énorme tendresse. Et, puis, ce pape est passionnant, impossible de laisser tomber. Il nous surprend presque chaque jour !
Pas des chocolats suisses, mais argentins confesse Arnaud Bédat: "Il m'a reconnu tout de suite. C'était, comment dire, un peu hors du temps... Pourquoi rit-il de si bon cœur? Je lui ai offert des chocolats au dulce de leche venus en droite ligne de sa chocolaterie préférée de Buenos Aires. Il a vu le papier du confiseur, il a compris tout de suite et est parti d'un énorme éclat de rire. Paraît-il même qu'il s'en serait régalé durant le reste du vol..."
- Dernière question: que peut-on souhaiter pour votre livre et pour vous ?
Que le livre rencontre ses lecteurs. Et pour son auteur, d’être lu et apprécié par le plus grand nombre.
En décembre 1983 à Quito, en Equateur, lors de la Course autour du monde, avec le premier cardinal jésuite sud américain Mgr Pablo Muñoz Vega (1903-1994), créé cardinal par Paul VI en 1969 avec le titre de San Roberto Bellarmino, église dont héritera donc des années plus tard le cardinal Bergoglio. @Arnaud Bédat
Liens: Jura Pastoral - Interview express
Dimanche prochain 12 février, Arnaud Bédat sera l'invité de Darius Rochebin "Pardonnez-moi" RTS 1
23:37 | Lien permanent | Commentaires (1) | | |
Commentaires
J'aime beaucoup cet interview!
Ils nous restent à acheter le livre et à le lire .
Écrit par : Myriam | vendredi, 03 février 2017
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