jeudi, 19 septembre 2013
Entretien des revues jésuites avec le Pape
Samedi 21 septembre: Fête de la Saint Matthieu
Traduction française d'un entretien exceptionnel accordé par le Pape François pour 16 revues jésuites
« Voilà, je connais Sainte-Marie Majeure, Saint-Pierre… mais, venant à Rome, j’ai toujours habité rue de la Scrofa. De là, je visitais souvent l’Eglise de Saint-Louis des Français, et j’allais contempler le tableau de la vocation de saint Matthieu du Caravage. »
6 mois après son élection, le pape François se livre très largement dans un long entretien accordé à la revue jésuite italienne La Civiltà Cattolica. Dans cette interview publiée le 19 septembre 2013 en fin d’après-midi et relayée par les différentes revues jésuites à travers le monde, le pape livre sa vision de l’Eglise et insiste sur l’accueil de toutes les personnes, à commencer par les “blessés sociaux“ que sont les divorcés remariés ou les homosexuels.
Le pape François y présente aussi sa manière de gouverner en insistant sur le besoin de renforcer la “synodalité“ et le besoin de prendre du temps pour discerner. Il évoque les discussions avec les fidèles traditionnalistes et dévoile aussi ses goûts artistiques. Voici une vingtaine d'extraits significatifs de ce très riche entretien de 6 heures réalisé courant août et publié par la revue Etudes en français, d’Appartements pontificaux à Zone d’incertitude…
Appartements pontificaux : La communauté est pour moi vraiment fondamentale. J’ai toujours cherché une vie communautaire. Comme prêtre, je ne me voyais pas seul. C’est pourquoi je suis là, à Sainte-Marthe (…) J’ai choisi de m’y installer car, quand j’ai pris possession de l’appartement pontifical, j’ai entendu distinctement un “non” à l’intérieur de moi. L’appartement pontifical du Palais Apostolique n’est pas luxueux. Il est ancien, fait avec goût, mais pas luxueux. Cependant, il est comme un entonnoir à l’envers. S’il est grand et spacieux, son entrée est vraiment étroite. On y entre au compte-goutte et moi, sans la présence des autres, je ne peux pas vivre. J’ai besoin de vivre ma vie avec les autres.
Caravage : A Rome, je visitais souvent l’église Saint-Louis des Français, et j’allais contempler le tableau de La Vocation de saint Matthieu du Caravage. Ce doigt de Jésus… vers Matthieu. C’est comme cela que je suis, moi. (…) Voilà, c’est cela que je suis : un pécheur sur lequel le Seigneur a posé les yeux.
Dicastères : Les dicastères romains sont au service du pape et des évêques: ils doivent aider soit les Eglises particulières soit les conférences épiscopales. Ils sont des organismes d’aide. Dans certains cas, quand ils ne sont pas bien compris, ils courent le risque de devenir plutôt des organismes de censure. C’est impressionnant de voir les dénonciations pour manque d’orthodoxie qui arrivent à Rome ! (…) Les dicastères romains sont des médiateurs et non des intermédiaires ou des gestionnaires.
Dieu : Chercher Dieu dans le passé ou dans le futur est une tentation. Dieu est certainement dans le passé, parce qu’il est dans les traces qu’il a laissées. Et il est aussi dans le futur comme promesse. Mais le Dieu “concret“, pour ainsi dire, est aujourd’hui. C’est pourquoi les lamentations ne nous aideront jamais à trouver Dieu. Les lamentations qui dénoncent un monde “barbare” finissent par faire naître à l’intérieur de l’Eglise des désirs d’ordre entendu comme pure conservation ou réaction de défense. Non : Dieu se rencontre dans l’aujourd’hui.
Discernement : Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement. Parfois au contraire le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois. Le discernement se réalise toujours en présence du Seigneur, en regardant les signes, en étant attentif à ce qui arrive, au ressenti des personnes, spécialement des pauvres. Mes choix, même ceux de la vie quotidienne, comme l’utilisation d’une voiture modeste, sont liés à un discernement spirituel répondant à une exigence qui naît de ce qui arrive, des personnes, de la lecture des signes des temps. Le discernement dans le Seigneur me guide dans ma manière de gouverner.
Eglise : Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Eglise aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures... Il faut commencer par le bas.
Femmes : Il est nécessaire d’agrandir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Eglise. Je crains la solution du “machisme en jupe” car la femme a une structure différente de l’homme. (…) Il faut travailler davantage pour élaborer une théologie approfondie du féminin. (…) Le génie féminin est nécessaire là où se prennent les décisions importantes.
Gouvernement jésuite : Au départ, ma manière de gouverner comme jésuite comportait beaucoup de défauts. (…) Il fallait affronter des situations difficiles et je prenais mes décisions de manière brusque et individuelle. Mais je dois ajouter une chose : quand je confie une tâche à une personne, je me fie totalement à elle. (…) Ma manière autoritaire et rapide de prendre des décisions m’a conduit à avoir de sérieux problèmes et à être accusé d’ultra-conservatisme. J’ai vécu un temps de profondes crises intérieures quand j’étais à Córdoba. (…) Mais je n’ai jamais été conservateur.
Groupe des huit : Les Consistoires, les Synodes sont, par exemple, des lieux importants pour rendre vraie et active cette consultation. Il est cependant nécessaire de les rendre moins rigides dans leur forme. Je veux des consultations réelles, pas formelles. La consulte des huit cardinaux, ce groupe consultatif outsider, n’est pas seulement une décision personnelle, mais le fruit de la volonté des cardinaux, ainsi qu’ils l’ont exprimée dans les Congrégations générales avant le Conclave.
Homosexuels : A Buenos Aires j’ai reçu des lettres de personnes homosexuelles, qui sont des “blessés sociaux” parce qu’elles se ressentent depuis toujours condamnées par l’Eglise. Mais ce n’est pas ce que veut l’Eglise. Lors de mon vol de retour de Rio de Janeiro, j’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le Catéchisme [de l’Eglise catholique].
Mission : Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs.
Morale sexuelle : Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Eglise, nous la connaissons, et je suis fils de l’Eglise, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence.
Musique : J’aime évidemment Mozart. L’Et incarnatus est de sa Messe en Do est indépassable. Il te conduit à Dieu ! J’aime Mozart interprété par Clara Haskil. Il me comble : je ne peux le penser, je dois l’entendre. J’aime écouter Beethoven, mais joué de manière prométhéenne (prometeicamente). Pour moi, l’interprète le plus prométhéen est Furtwängler. Et puis lesPassions de Bach. L’air que je préfère est celui de l’Erbarme Dich, la plainte de Pierre dans la Passion selon saint Matthieu. C’est sublime. Puis, à un autre niveau, pas aussi intime, j’aime Wagner.
Pécheur : Je peux peut-être dire que je suis un peu rusé (un po’ furbo), que je sais manœuvrer (muoversi), mais il est vrai que je suis aussi un peu ingénu. Oui, mais la meilleure synthèse, celle qui est la plus intérieure et que je ressens comme étant la plus vraie est bien celle-ci : Je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard.
Prêtres : Les ministres de l’Eglise doivent être avant tout des ministres de miséricorde. Le confesseur, par exemple, court toujours le risque d’être, soit trop rigide, soit trop laxiste. Aucune des deux attitudes n’est miséricordieuse parce qu’aucune ne fait vraiment cas de la personne.
Prière : J’aime prier avec les psaumes. (…) Et je prie le rosaire. Ce que je préfère vraiment, c’est l’Adoration du soir, même quand je suis distrait, que je pense à autre chose, voire quand je sommeille dans ma prière. Entre sept et huit heures du soir, je me tiens devant le saint sacrement pour une heure d’adoration. Mais je prie aussi mentalement quand j’attends chez le dentiste ou à d’autres moments de la journée.
Réforme : Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires, c’est-à-dire qu’elles viennent dans un deuxième temps. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Evangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’Etat.
Synodalité : On doit marcher ensemble : les personnes (la gente), les évêques et le pape. La synodalité se vit à différents niveaux. Il est peut-être temps de changer la manière de faire du Synode, car celle qui est pratiquée actuellement me paraît statique. Cela pourra aussi avoir une valeur œcuménique, tout particulièrement avec nos frères orthodoxes. D’eux, nous pouvons en apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité.
Traditionnalistes : Il y a (…) des questions particulières comme la liturgie selon le vetus ordo. Je pense que le choix de Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du vetus ordo, son instrumentalisation.
Vatican II : Vatican II fut une relecture de l’Evangile à la lumière de la culture contemporaine. Il a produit un mouvement de rénovation qui vient simplement de l’Evangile lui-même. Les fruits sont considérables. Il suffit de rappeler la liturgie.
Zone d’incertitude : Bien sûr, dans ce “chercher“ et “trouver“ Dieu en toutes choses, il reste toujours une zone d’incertitude. Elle doit exister. Si quelqu’un dit qu’il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n'y a aucune marge d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas.
I.MEDIA
18:37 | Lien permanent | Commentaires (3) | | |
Commentaires
A boire et à manger, de quoi se réjouir et de quoi frémir... Quelle drôle d'époque on vit... Mais heuresememt le présent passe vite, alors que le Christ demeure le même hier, aujourd'hui et toujours.
Écrit par : ph. martin | vendredi, 20 septembre 2013
Oui, à boire et à manger. Quelle différence entre le doux, mesuré et précis Benoît XVI et ce nouveau pape un peu (c’est une litote) populiste, dont beaucoup de formules à l’emporte-pièce donnent finalement surtout du grain à moudre aux progressistes : transformer la foi en une idéologie, ce n’est pas une tentation réservée à « la droite » du Seigneur.
François aime les périphéries mais je crains que ses comportements, à la longue, ne fassent, qu’aggraver les tensions au cœur de l’Eglise. Qu’en pense Benoît ? Nous ne le saurons jamais, mais nous savons qu’il prie et, du fond de mes doutes, je m’associe à sa prière silencieuse.
En regardant ainsi vers le Seigneur, je me dis qu’entre deux méthodes, deux tempéraments, deux cultures, nous n’avons pas à choisir. « Moi, je suis de Paul ; moi d’Apollos ; moi de Céphas ; et moi de Christ : le Christ est-il divisé ? » (1Co. 1, 12). Faisons nôtre cette paraphrase d’une sentence du rabbi Gamaliel rapportée dans les actes des apôtres (5, 38-39) : prenez garde et laissez-les aller. Si une entreprise vient des hommes, elle se détruira, si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne courez pas le risque d’avoir combattu Dieu.
Qu’est-ce qui est essentiel pour la foi ? Le christianisme ne doit pas son nom à des valeurs à défendre, ni à une morale codifiant des interdits, mais au Christ : un Dieu qui donne et par-donne mais surtout restitue la liberté intérieure et pénètre le cœur de l’homme pour en guérir les blessures. Et sur ce point je pense que, bénédictins ou franciscains, tradis ou modernistes nous sommes tous d’accord. Le reste n’est souvent que littérature…
Écrit par : Jean-Paul Schyns | vendredi, 20 septembre 2013
Que veut dire apprivoiser ? Créer des liens, disait le Petit Prince. Personnellement, j'apprends à connaître notre Pape, élevé par Dieu à cette mission d'être Pierre pour notre temps. Au-delà du tempérament, du changement de style, j'y perçois une parfaite continuité avec Jean Paul II, bientôt saint, Benoît XVI qui le sera un jour (pour moi cela ne fait pas l'ombre d'un doute) et notre Pape.
La foi est identique et le Pape est le gardien de la foi, celui par qui la foi ne pourra jamais être déviée car la passion du Christ, sa mort et sa résurrection nous l'assure.
Après avoir vénéré Benoît XVI, j'aime notre Pape, son sens de la formule, un maître en communication, et qui me fait grandir chaque jour dans ma foi et mon amour pour l'Eglise. C'est un génie de la pastorale, un homme qui attire vers Dieu, qui pense les plaies laissées par le péché, et qui nous réchauffe le coeur. Bref, l'Esprit Saint nous a envoyé le Cardinal Bergoglio et c'est une divine surprise.
Les divisions ? Elles existaient déjà avant, et je ne crois pas que les Papes en provoquent, eux qui sont chargés du ministère de l'Unité. Avec ma raison, mon intelligence, j'aime le lire, je le découvre, j'apprends à mieux le connaître et plus je le découvre, plus je l'aime.
Je ne saurais comparer les deux Papes, j'aime les deux.
Je sais que notre Pape émérite aime notre Pape.
Ceci dit, il faut être ouvert au débat, et c'est normal d'éprouver un petit temps d'adaptation. Avec la prière, la pratique de notre foi, je comprends ce que veux faire notre Saint Père. C'est la foi, qui n'est pas un acquis, mais une découverte qui ouvre vers l'infini.
Merci pour vos commentaires, qui sont ouverts et bienveillants, le dialogue est possible, Dieu merci.
Écrit par : Don Dom | vendredi, 20 septembre 2013
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