samedi, 11 décembre 2010
Préservatifs: Interview de l'abbé Martin Rhonheimer
"Les campagnes qui promeuvent l’abstinence et la fidélité sont en définitive le seul moyen efficace à long terme de lutte contre le sida.
L’Église n’a donc aucune raison de considérer les campagnes de promotion du préservatif comme utiles pour l’avenir de la société humaine.
Mais l’Église ne peut pas non plus enseigner que ceux qui adoptent des modes de vie immoraux devraient s’abstenir d’utiliser le préservatif"
Dr Martin Rhonheimer
"LE PAPE A VOULU QUE LA DISCUSSION AIT LIEU AU GRAND JOUR"
Interview accordée par Martin Rhonheimer (Opus Dei)
(Zürich, 1950), Professeur d’éthique et de philosophie politique à l’Université Pontificale de la Sainte-Croix, à Rome
Q. – Certains commentateurs catholiques qualifient les propos du pape de “changement radical” ; d’autres disent qu’absolument rien n’a changé. Laquelle de ces deux opinions est juste ?
R. – Ni l’une ni l’autre. Commençons par la seconde : “Rien n’a changé”. Ce n’est pas vrai. Le pape Benoît XVI, après avoir – je pense - mûrement réfléchi, a fait une déclaration publique qui a changé le discours sur ces questions, à la fois dans et hors de l’Église. Pour la première fois, il a été dit par le pape lui-même, bien que ce ne soit pas dans le cadre d’un enseignement formel du magistère de l’Église, que l’Église n'interdit” pas de manière inconditionnelle l’utilisation prophylactique du préservatif. Au contraire, le Saint Père a dit que dans certains cas (dans le cas du commerce du sexe, par exemple), son utilisation peut être un signe de ou un premier pas vers une attitude responsable (tout en précisant en même temps que ce n’est ni une solution pour vaincre l’épidémie de sida ni une solution morale ; la seule solution morale est d’abandonner un mode de vie immoral et de vivre sa sexualité d’une manière vraiment humanisée). Ce sujet provoque beaucoup d’émotion de part et d’autre, raison pour laquelle j’espère que le pas qu’a fait Benoît XVI puisse nous amener à changer notre façon de discuter de ces sujets et à le faire de manière moins tendue et plus ouverte.
Mais la seconde opinion, selon laquelle ce qu’a dit le pape est un “changement radical” est également inexacte.
Tout d’abord, elle ne change en rien la doctrine de l’Église en matière de contraception ; ce qu’a dit le pape confirme plutôt cette doctrine telle qu’elle est enseignée par "Humanae Vitae".
Deuxièmement, sa déclaration ne dit pas que l’utilisation du préservatif ne pose pas de problème moral ou qu’elle est permise d’une manière générale, même à des fins de prophylaxie. Le pape Benoît XVI parle de "begründete Einzelfälle", ce qui, traduit littéralement, signifie “certains cas justifiés” – comme celui d’un(e) prostitué(e) – dans lesquels l’utilisation d’un préservatif “peut être un premier pas vers une moralisation, une première prise de responsabilités”.
Ce qui est “justifié”, ce n’est pas l’utilisation du préservatif en tant que telle : pas, du moins, au sens d’une “justification morale” d’où découle une norme permissive du genre “il est moralement permis et bon d’utiliser le préservatif dans tel et tel cas”. Ce qui est justifié, plutôt, c’est le jugement selon lequel ce geste peut être considéré comme un “premier pas” et “une première prise de responsabilités”. Benoît XVI n’a certainement pas voulu établir une norme morale justifiant des exceptions.
Troisièmement, ce que dit le pape ne se réfère pas aux gens mariés : il a seulement parlé de situations qui sont en elles-mêmes intrinsèquement désordonnées.
Quatrièmement, comme il l’indique très clairement, le pape ne plaide pas en faveur de la distribution de préservatifs, qu’il considère comme conduisant à la “banalisation” de la sexualité qui est la cause majeure de la diffusion du sida. Il mentionne simplement la méthode ABC, en insistant sur l’importance de A et B (“abstain” [abstiens-toi] et “be faithful” [sois fidèle]) et en qualifiant le C (“condoms” [préservatifs]) de dernier recours (en allemand, "Ausweichpunkt") au cas où certaines personnes refuseraient de se conformer à A ou B.
Et, ce qui est très important, il déclare que ce dernier recours relève clairement de la sphère séculière, c’est-à-dire des programmes gouvernementaux de lutte contre le sida. Donc ce qu’a dit le pape ne concerne pas la manière dont les institutions sanitaires relevant de l’Église devraient gérer les préservatifs. Il a donné une indication sur ce qu’il faut penser d’un(e) prostitué(e) qui utilise habituellement des préservatifs, pas de ceux qui les distribuent systématiquement dans le but de contenir l’épidémie, ce qui est la responsabilité des autorités d’État. Pour sa part, l’Église continuera à dire la vérité à propos de la manière vraiment humaine de vivre la sexualité.
Q. – Dans ses propos, le pape Benoît XVI n’appelle pas l’utilisation du préservatif par les gens porteurs du virus VIH un “moindre mal” mais c’est comme cela que certains théologiens et leaders catholiques expliquent ce qu’il a dit. Est-ce que, dans certains cas, le préservatif est un “moindre mal” ?
R. – Décrire comme un moindre mal l’utilisation du préservatif pour empêcher l’infection est très ambigu et peut créer de la confusion. Bien sûr, on peut dire que quand un(e) prostitué(e) utilise un préservatif, cela diminue la malfaisance de la prostitution ou du tourisme sexuel, puisque cela réduit le risque de transmission du virus VIH dans de plus larges secteurs de la population. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit bon de choisir des actes mauvais pour parvenir à un but qui est bon.
Étant entendu que la conduite sexuelle immorale devrait être totalement évitée, à mon avis ce que le Saint Père a souligné à juste titre est que, quand quelqu’un qui commet déjà des actes immoraux utilise un préservatif, il ou elle ne choisit pas à proprement parler un moindre mal, mais il ou elle essaie simplement d’éviter un mal — le mal de l’infection. Du point de vue du pécheur, cela signifie évidemment choisir quelque chose de bon : la santé.
Q. – Si le pape dit que l’utilisation du préservatif dans certains cas peut être un signe de réveil moral, ne dit-il pas que l’utilisation de la contraception est quelquefois acceptable ? Ou que l’utilisation de la contraception est préférable à la transmission du virus VIH ?
R. – Le préservatif est conçu comme un moyen d’empêcher les fluides masculins de pénétrer dans le corps de la femme. Son utilisation normale est la contraception. Mais dans le cas dont parle le pape, la raison qui conduit à l’utiliser n’est pas d’empêcher la conception, mais de prévenir l’infection. Il ne faut pas confondre les actions humaines, qui peuvent être intrinsèquement bonnes ou intrinsèquement mauvaises, avec les “choses.” Ce n’est pas le préservatif en tant que tel, mais son utilisation, qui pose le problème moral. C’est pourquoi ce que dit le pape ne se réfère même pas à la question de la contraception.
Il est vrai que certains spécialistes de la théologie morale soutiennent que puisque – excepté dans le cas de partenaires sexuels stériles – l’effet du préservatif est toujours physiquement contraceptif et pour cette raison intrinsèquement mauvais, ceux qui l’utilisent commettent nécessairement le péché de contraception, même s’ils ne l’utilisent pas dans ce but. C’est pourquoi ils affirment que l’utilisation du préservatif rendra un acte déjà immoral encore pire. L’affirmation du pape Benoît XVI – en admettant qu’il ne voulait pas la restreindre uniquement au cas de la prostitution homosexuelle masculine, cas dans lequel la question de la contraception ne se pose évidemment pas – affaiblit cet argument de manière décisive.
Je pense que la seule manière de sortir de la bizarre impasse où conduisent de tels arguments – par exemple l’affirmation selon laquelle il vaudrait mieux, également d’un point de vue moral, que les gens qui se prostituent soient infectés plutôt que d’utiliser un préservatif – est de dire clairement que le préservatif, en tant que tel, n’est pas “intrinsèquement contraceptif” au sens d’un jugement moral. C’est son utilisation et l’intention qui sous-tend cette utilisation, qui déterminent si l’utilisation d’un préservatif constitue un acte de contraception.
Q. – On peut présumer que le pape était conscient de la confusion que ses propos allaient créer parmi les catholiques. Sans vous demander de spéculer indûment sur ses intentions, quel bien peut sortir de tout cela ?
R. – Il est évident que le Saint Père voulait que ce sujet soit discuté au grand jour. Il a certainement prévu le tumulte, les malentendus, la confusion et même le scandale qui allaient en résulter. Et je crois qu’il a pensé qu’il était nécessaire, en dépit de toutes ces réactions, d’en parler, dans le même esprit d’ouverture et de transparence qui a été le sien, depuis qu’il dirigeait la congrégation pour la doctrine de la foi, pour traiter les affaires d’abus sexuels de la part de prêtres. Je pense que Benoît XVI croit en la force de la raison et que les choses vont se clarifier avec le temps. Il a changé le discours public sur ces questions et préparé le terrain pour une compréhension et une défense plus vigoureuses et plus adaptées de l’enseignement de l’Église en matière de contraception, en tant qu’élément de sa doctrine concernant l’amour conjugal et la véritable signification de la sexualité humaine.
Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
source Sandro Magister - The Tablet (article)
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