mercredi, 22 mai 2019
Aude Dugast: Jérôme Lejeune, la liberté du savant
En ce temps de polémique sur la situation de Vincent Lambert, il me paraît profitable de revenir à la science médicale, qui repose d'abord sur la nature et la raison.
Pas besoin d'être catholique pour les questions éthiques. Hippocrate, 4 siècle avant le Christ, avait déjà quelques clefs pour nos interrogations
La biographie de Jérôme Lejeune peut nous aider à entrer dans la sagesse, la science et l'intelligence.
"Il n’a jamais considéré que le médecin était maître de la vie et de la mort."
Aude Dugast: Jérôme Lejeune, la liberté du savant
« L'intelligence d'un seul est un don pour tous. » Telle est la pensée qui jaillit en songeant à Jérôme Lejeune, un homme hors du commun qui mit son immense talent au service des enfants handicapés mentaux. Pionnier de la génétique moderne, ébloui par la beauté de chaque vie humaine, le Professeur Lejeune a marqué l'histoire en prenant la défense des sans-voix. Suivant sa conscience de médecin fidèle au serment d'Hippocrate et de chrétien fidèle à son baptême, il a montré avec brio comment la science et la foi se font grandir mutuellement. Son histoire est celle d'un homme qui est resté profondément libre malgré les honneurs reçus dans le monde entier puis les attaques violentes dont il a été l'objet.
Pour écrire cette biographie, l'auteur a travaillé onze ans à consulter des milliers d'archives, longuement rencontré son épouse, premier et indispensable soutien, ses proches, les familles de patients et ses collaborateurs français et étrangers.
Elle nous invite à découvrir aujourd'hui le portrait fidèle et inédit d'un Jérôme Lejeune découvreur génial, plein d'humour, époux et père de cinq enfants, proche des grands de ce monde, et défenseur des plus petits.
*Aude Dugast, philosophe de formation, est postulatrice de la cause de canonisation de Jérôme Lejeune, depuis 2012, au sein de l'Association des Amis du Professeur Lejeune. Elle était vice-postulatrice de l'enquête diocésaine, de 2007 à 2012. *
Aude Dugast : « L’œuvre de Jérôme Lejeune est une œuvre de vérité »
R&N : Vous avez consacré près de dix ans de votre vie à travailler sur le professeur Lejeune et vous en avez fait une biographie. Pourquoi cette volonté de parler de Jérôme Lejeune aujourd’hui ?
AD : J’ai débuté mon travail d’enquête dans le cadre de la cause de canonisation du professeur Lejeune à la demande du Cardinal Vingt-Trois et j’ai découvert un trésor que je devais partager, car la vie du professeur Lejeune est tout simplement magnifique.
R&N : Cette biographie se lit comme un roman, avez-vous inventé des événements, des rebondissements ?
AD : La biographie se lit comme un roman mais elle est vraie ! Il faut savoir que les trois quarts des phrases prononcées ou écrites par Jérôme Lejeune dans le livre sont réellement de lui, au mot près. Par ailleurs, j’ai choisi d’indiquer beaucoup de références pour que cette biographie se lise comme un roman mais ait la précision d’un livre historique. Ce travail d’enquête a nécessité un épluchage minutieux de tous les aspects de la vie de Jérôme Lejeune : sa vie personnelle et familiale, sa vie professionnelle, ses relations avec ses patients, etc.
R&N : Sur quels documents vous êtes-vous appuyée pour nourrir votre travail ?
AD : D’abord sur ses courriers (plusieurs dizaines de milliers de lettres), puis les cinq cents articles qu’il a publiés, et ses conférences… La lecture minutieuse du journal du professeur Lejeune m’a également beaucoup aidée. Au commencement, son journal mêlait sa vie de famille et sa vie professionnelle, puis, au fur à mesure des années, il est devenu un journal exclusivement scientifique. Ses écrits se mettaient au diapason de son inquiétude pour ses petits patients : il était pressé par l’urgence de les guérir, pour les sauver des lois eugénistes qui se mettaient alors en place. Et bien sûr les courriers écrits à sa femme : une correspondance de 2000 lettres avec Birthe Lejeune, où chacun raconte en détail ses journées. Cette correspondance est un journal écrit à quatre mains !
R&N : Qui était Jérôme Lejeune ?
AD : Au-delà du chercheur d’exception, reconnu très tôt par la communauté internationale, (par exemple il fut nommé expert des radiations atomiques auprès de l’ONU à l’âge de 31 ans, avant la découverte de la trisomie 21), Jérôme Lejeune fut un médecin à l’amour inconditionnel. Il eut un véritable coup de cœur pour les enfants trisomiques, à qui il décida de consacrer sa vie afin de trouver un traitement à leur maladie.
Il était d’une grande bonté et il y a beaucoup de poésie et d’amour dans son âme, cela se ressent à la lecture de son journal et les lecteurs s’en rendront certainement compte à la lecture de la biographie.
Ce regard de bonté sur la vie, sur toute vie humaine, son expertise scientifique et son talent oratoire firent de lui un grand témoin de la vie. Il fut donc invité dans le monde entier, du Canada à l’Australie pour témoigner devant les Parlements ou les tribunaux en faveur des enfants à naître. Il devint un infatigable avocat des "sans voix".
C’était aussi un savant et un humaniste, car il appartient à l’une de ces générations qui apprenaient encore le latin et le grec, et il avait une culture très vaste. Il avait une intelligence géniale – au sens propre du terme – et il a choisi de la consacrer à ses patients blessés dans leur intelligence.
C’était un scientifique chrétien, qui a su montrer par ses actes, que la foi et la science sont complémentaires.
R&N : Un trait de caractère qui ressort davantage ?
AD : L’esprit d’humilité est une des caractéristiques de Jérôme Lejeune. Il vivait avec l’humilité du médecin chrétien. Il n’a jamais considéré que le médecin était maître de la vie et de la mort. L’humilité du savant était aussi présente à chaque instant. Il n’a jamais travaillé pour sa gloire et contre Dieu. Au contraire.
Mais je pourrais aussi répondre que la force est une de ses vertus principales. C’est le non possumus des premiers chrétiens. Ou bien encore la justice : Jérôme avait un sens très aigüe de la justice et de la vérité. Ce qui explique aussi son engagement au service de ses patients : il lui semblait de la plus grande injustice de vouloir leur retirer leur droit de vivre, au motif qu’ils étaient handicapés. Double peine. Sans parler de sa Foi ou de sa Charité !
R&N : Peut-on le considérer comme saint ?
AD : Sa réputation de sainteté est déjà immense, dans le monde entier, et je suis persuadée qu’il est saint mais je ne peux pas préjuger de la décision de l’Église qui ne s’est pas encore prononcée. L’enquête de canonisation est dans sa phase romaine.
Jérôme a été saint avec son intelligence. Il était aimanté par la vérité, avec un amour inconditionnel pour ses patients. C’était un serviteur de la vie et un serviteur de la vérité. Plus encore, il était serviteur du Verbe incarné.
R&N : Le travail de recherche du professeur Lejeune est précieux et continue de progresser malgré son décès. Pourtant les parents sont peu (ou mal) informés sur la Trisomie 21. Et l’avortement semble la solution de facilité... Comment expliquez-vous cela ?
AD : Jérôme Lejeune était précurseur de la recherche, il avait un regard prophétique. Pendant les congrès où il intervenait, il sentait monter la pression eugéniste. Tout cela s’est accéléré avec la légalisation de l’avortement. Aujourd’hui, en France, 95% des enfants trisomiques dépistés avant la naissance sont avortés. On prétend laisser aux femmes le choix, mais peut-on parler de choix lorsque le tableau peint aux futures mères sur la trisomie est terrible ? Je ne crois pas. Heureusement, la parole commence à se libérer et les femmes qui ont vécu un avortement commencent à parler de cette douleur pour avertir les plus jeunes.
La vie attire, la vie est belle. Il faut donc témoigner de la vie. L’œuvre de Jérôme Lejeune est une œuvre de vérité, de beauté, de vie, au service des personnes blessées. Aujourd’hui, son œuvre se poursuit avec la Fondation Jérôme Lejeune qui fournit un travail remarquable.
R&N : Qu’en est-il du procès de canonisation ?
AD : Le procès en est dans sa phase romaine. Lors de la phase d’instruction du dossier, qui s’est déroulée à Paris, entre 2007 et 2012, nous avons dû réunir tous les documents et les témoignages permettant de juger de l’héroïcité des vertus de Jérôme Lejeune. Comme c’était un homme public de réputation mondiale, cela signifie des dizaines de milliers de documents et de très nombreux témoignages. Tous ces documents sont ensuite envoyés puis étudiés à Rome par le Postulateur. Chaque vertu, théologale, cardinale et mineure, doit être étudiée.
Le Postulateur remet ensuite ce rapport (Positio) à la Congrégation des Causes des saints qui l’étudiera et jugera de l’héroïcité des vertus. La cause de Jérôme Lejeune en est à ce stade. Et il faudra ensuite un miracle pour la béatification puis un autre pour la canonisation. Seul le Bon Dieu connaît le calendrier !
R&N : Pouvez-vous nous parler de Birthe Lejeune ?
AD : L’épouse de Jérôme Lejeune est la force incarnée, il faudrait aussi écrire sur elle. Le jour de leur mariage, lorsque Birthe dit oui à Jérôme, elle dit aussi oui à la recherche d’un traitement pour les enfants alors appelés mongoliens. Elle joue un rôle très important aux côtés de Jérôme. Lorsqu’il était en déplacement, elle lui écrivait pour lui raconter l’actualité et lui dire les actions qu’elle menait en son absence. C’est son bras droit, et nous pouvons voir qu’il y a une belle complémentarité dans ce couple. Jérôme Lejeune n’aurait pas été le même homme sans Birthe à ses côtés.
R&N : Enfin, qu’est-ce qui a nourri Jérôme Lejeune ?
AD : Ce qui le nourrit d’abord, c’est sa foi et certainement la grâce de son Baptême. Il prend son Baptême et l’Évangile au sérieux. Il médite la Bible. Et puis les Sacrements nourrissent sa charité en acte. Il est très marqué par Saint Vincent de Paul pour son attention aux plus pauvres. Parmi toutes les formes de pauvreté, celle qui touche le plus profondément son cœur est celle de ses patients, qu’il considère “les pauvres parmi les pauvres”.
Enfin son amitié avec le pape Jean-Paul II. Ils font connaissance un an après l’élection du Saint-Père, et le discours que le Pape prononce ce jour-là aux membres de l’Académie pontificale des sciences, sur la science et la foi, touche particulièrement Jérôme Lejeune. Ils déjeunent ensemble le 13 mai 1981, le jour de l’attentat qui visait le Saint-Père. L’Église de France n’étant alors pas très engagée sur les questions de la vie, le Pape fut pour Jérôme Lejeune un véritable appui.
Enfin ce qui l’a nourri, c’est la phrase de Jésus qui dirige sa vie : « ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. ».
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