vendredi, 18 octobre 2013
La vie d'Adèle: Le billet de Patrice Favre
Edito: gavage sexuel
Cheveux bleus et yeux de biche: impossible d’échapper au lancement de La vie d’Adèle, palme d’or du dernier Festival de Cannes. Un film dont Darius Rochebin parlait la semaine dernière au téléjournal avec sa délicatesse coutumière, en évoquant «les caresses très douces, mais très intimes, entre deux femmes».
Pas besoin de vous faire un dessin, je pense. Mais l’affichette du Matin en a remis une couche en titrant sur «Les dessous des scènes de sexe»: on saura tout sur «le réalisme bestial de certaines scènes», sur les trucages du tournage et sur des questions existentielles: étaient-elles vraiment nues ou bien ont-elles fait semblant?
Bref, si ce n’est pas de l’art, c’est du cochon. Hélas, la deuxième hypothèse semble confirmée par Le Temps, dont un des critiques – qui n’a pas aimé le film – dénonce «le regard voyeur, l’objectif obscène (du réalisateur Kechiche). Les scènes de sexe sont frontales, impudiques. Les très gros plans ne révèlent en aucun cas un supplément d’âme, mais avilissent les comédiennes... La vie d’Adèle tient de la pornographie, Kechiche exploite son actrice comme le souteneur sa gagneuse».
Il est vrai que, dans le même quotidien et dans la plupart des médias romands, d’autres critiques crient au chef-d’œuvre. Tout en précisant – peut-être inquiets devant la polémique – que les fameuses scènes de sexe «durent à peine dix minutes sur les trois heures du film». Ah bon?
Au cinéma, la gym en petite tenue me scandalise moins qu’elle m’ennuie, l’érotisme étant souvent proportionnellement inverse à la quantité de peau montrée. Mais il y a des choses plus graves dans la vie.
Le site Amazon ne vendra plus de foie gras.
Par contre, je m’énerve quand le discours dominant veut faire croire que certaines choses sont «normales» et qu’on peut être heureux ainsi. Quitte à se lamenter ensuite sur les dégâts provoqués par le porno chez les ados, comme l’a fait le Matin dans une série d’articles publiés cet automne.
Coïncidence écologique: au moment où sortait le film, le site Amazon a fait savoir qu’il ne vendra plus de foie gras en Angleterre. Il se rallie ainsi à la quasi-totalité des grandes surfaces anglaises qui ont cédé aux pressions des défenseurs des animaux: les images du gavage des oies sont trop cruelles. Le gavage sexuel des adolescents, par contre – La vie d’Adèle est autorisée aux plus de 12 ans en France et aux plus de 16 ans chez nous –, continue de plus belle.
Certes, la défense des petites bêtes est plus sexy que le combat contre la pollution pornographique, vite soupçonné de ringardise. Mais il faut bien commencer une fois. La palme d’or de Cannes, cette année, se passera de mon billet.
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