dimanche, 29 octobre 2017
FRANÇOIS, UN PAPE APPLAUDI PAR LE MONDE... MAIS DÉTESTÉ PAR SON CLERGÉ
? Le Pape François serait détesté par son clergé ?
Un article du Guardian, repris par une farouche opposante au Pape, met en lumière l'incompréhension qu'une partie des détracteurs de François distille sur la toile.
Personnellement, j'aime beaucoup notre Saint Père car il m'aide à accomplir ma mission de prêtre. Cet homme, élevé par Dieu à la grâce de la papauté, n'est ni un théologien, ni un professeur, mais un communicateur de génie, un Pasteur prophétique.
Andrew Brown
27 octobre 2017
La traduction (Benoît et moi)
FRANÇOIS, UN PAPE APPLAUDI PAR LE MONDE... MAIS DÉTESTÉ PAR SON CLERGÉ
Le pape François est aujourd'hui l'un des hommes les plus détestés du monde. Ceux qui le haïssent le plus ne sont pas des athées, ni des protestants, ni des musulmans, mais certains de ses propres disciples. En dehors de l'Église, il est extrêmement populaire comme une figure de modestie et d'humilité presque ostentatoire. Dès le moment où le cardinal Jorge Bergoglio est devenu pape en 2013, ses gestes ont captivé l'imagination du monde entier: le nouveau pape conduisait une Fiat, portait ses propres sacs et réglait ses propres factures dans les hôtels; il demandait aux homosexuels: "Qui suis-je pour juger?"
Mais à l'intérieur de l'Église, François a provoqué une réaction féroce de la part des conservateurs qui craignent que cet esprit divise l'Église, et puisse même la briser. Cet été, un prêtre anglais éminent m'a dit: "Nous avons hâte qu'il meure. C'est inimaginable ce qu'on dit en privé. Chaque fois que deux prêtres se rencontrent, ils racontent à quel point Bergoglio est horrible... Il est comme Caligula: s'il avait un cheval, il le ferait cardinal...". Bien sûr, après 10 minutes de lamentation, il a ajouté: "Il ne faut rien imprimer de tout ça, sinon je serais viré."
Ce mélange de haine et de peur est courant chez les adversaires du pape. François, le premier pape non européen des temps modernes, et le premier pape jésuite, fut élu comme étranger à l'establishment du Vatican, et on s'attendait à ce qu'il se fasse des ennemis. Mais personne n'avait prévu à quel point il en aurait. De son renoncement à la pompe du Vatican, qui a prévenu 3 000 fonctionnaires de l'Eglise qu'il voulait en être le maître, à son soutien aux migrants, à ses attaques contre le capitalisme mondial et, surtout, à ses tentatives de réexaminer les enseignements de l'Eglise sur la sexualité, il a scandalisé les réactionnaires et les conservateurs. A en juger par les chiffres du vote lors de la dernière réunion mondiale des évêques, près d'un quart du collège des cardinaux - le plus haut clergé de l'Église - pense que le pape flirte avec l'hérésie.
Le point critique est venu dans une bataille sur sa vision du divorce. Rompant avec des siècles, sinon des millénaires, de théorie catholique, le Pape François a essayé d'encourager les prêtres catholiques à donner la communion à certains couples divorcés et remariés, ou à des familles où cohabitent les parents non mariés. Ses ennemis tentent de le forcer à abandonner et à renoncer à cet effort.
Comme il ne le fera pas, et qu'il persévère tranquillement face au mécontentement grandissant, ils se préparent maintenant à la bataille. L'année dernière, un cardinal, soutenu par quelques collègues en retraite, a évoqué la possibilité d'une déclaration officielle d'hérésie - le rejet délibéré d'une doctrine établie de l'Église, un péché punissable d'excommunication. Le mois dernier, 62 catholiques mécontents, dont un évêque à la retraite et un ancien directeur de la banque du Vatican, ont publié une lettre ouverte accusant François de sept chefs d'accusation spécifiques d'enseignement hérétique.
Accuser un pape régnant d'hérésie est une option "nucléaire" [au sens d'"explosive"?] dans le raisonnement catholique. La doctrine soutient que le pape ne peut pas se tromper quand il parle sur les questions centrales de la foi; ainsi, s'il se trompe, il ne peut pas être pape. D'un autre côté, si ce pape a raison, tous ses prédécesseurs ont dû se tromper.
La question est particulièrement délétère car elle est presque entièrement théorique. Dans la pratique, dans la plupart des pays du monde, les couples divorcés et remariés se voient offrir la communion de façon habituelle. Le Pape François ne propose pas une révolution, mais la reconnaissance bureaucratique d'un système qui existe déjà, et qui pourrait même être essentiel à la survie de l'Eglise. Si les règles étaient appliquées à la lettre, personne dont le mariage a échoué ne pourrait plus jamais avoir de rapports sexuels. Ce n'est pas une façon pratique de s'assurer qu'il y aura des générations futures de catholiques.
Mais les réformes prudentes de François semblent à ses adversaires menacer la croyance que l'Église enseigne des vérités intemporelles. Et si l'Église catholique n'enseigne pas les vérités éternelles, se demandent les conservateurs, à quoi sert-elle? La bataille sur le divorce et le remariage a porté à un point crucial deux idées profondément opposées de ce à quoi sert l'Église. Les insignes du pape sont deux clés croisées. Elles représentent celles que Jésus est supposé avoir donné à saint Pierre, symbolisant les pouvoirs de lier et de délier: proclamer ce qui est péché et ce qui est permis. Mais quel pouvoir est le plus important, et le plus urgent aujourd'hui?
La crise actuelle est la plus grave depuis que les réformes libérales des années 1960 ont incité un groupe éclaté de conservateurs intransigeants à s'éloigner de l'Église (leur leader, l'archevêque français Marcel Lefebvre, fut par la suite excommunié). Au cours des dernières années, les auteurs conservateurs ont constamment agité le spectre du schisme. En 2015, le journaliste américain Ross Douthat, converti au catholicisme, a écrit un article pour le magazine Atlantic intitulé "Will Pope François Break the Church?". Un post sur un blog du Spectator, celui de l'anglais Damian Thompson, a prévenu "Le pape François est maintenant en guerre avec le Vatican". Selon un archevêque du Kazakhstan, les vues du pape sur le divorce et l'homosexualité ont permis à "la fumée de Satan" d'entrer dans l'Église.
L'Église catholique a passé une grande partie du siècle dernier à lutter contre la révolution sexuelle, tout comme elle a lutté contre les révolutions démocratiques du XIXe siècle, et dans cette lutte, elle a été forcée de défendre une position absolutiste indéfendable, dans laquelle toute contraception artificielle est interdite, de même que tous les rapports sexuels en dehors d'un mariage à vie. Comme le reconnaît François, ce n'est pas ainsi que les gens se comportent. Le clergé le sait, mais on s'attend à ce qu'il fasse semblant de ne pas le savoir. L'enseignement officiel ne peut pas être remis en question, mais il ne peut pas non plus être respecté. Quelque chose DOIT SE PASSER, et le moment venu, l'explosion qui en résultera pourrait briser l'Église.
Il est assez juste de dire que les haines parfois âpres au sein de l'Église - que ce soit à propos du changement climatique, de la migration ou du capitalisme - ont atteint leur paroxysme dans une lutte gigantesque contre les implications d'une seule note de bas de page dans un document intitulé "La joie de l'amour" (ou, dans son nom latin, Amoris Laetitia). Le document, écrit par François, est un résumé du débat actuel sur le divorce, et c'est dans cette note de bas de page qu'il fait une affirmation apparemment modérée, que les couples divorcés et remariés peuvent parfois recevoir la communion.
Avec plus d'un milliard d'adeptes, l'Église catholique est la plus grande organisation mondiale que le monde ait jamais vue, et beaucoup de ses disciples sont divorcés, ou parents célibataires. Pour mener à bien son travail dans le monde entier, elle dépend du volontariat. Si les fidèles ordinaires cessent de croire en ce qu'ils font, tout s'effondre. François le sait très bien. S'il ne parvient pas à concilier théorie et pratique, l'Église pourrait être vidée partout. Ses opposants croient aussi que l'Église est confrontée à une crise, mais leur prescription est le contraire. Pour eux, l'écart entre la théorie et la pratique est exactement ce qui donne à l'Église valeur et sens. Si tout ce que l'Église offre aux gens est quelque chose dont ils peuvent se passer, croient les opposants de François, alors elle s'effondrera à coup sûr.
CHOISIR ENTRE L'OUVERTURE AU MONDE OU LE REPLI: "EXTRAVERTIS" VS "INTRAVERTIS"
Personne ne l'avait prévu lors de l'élection de François en 2013. L'une des raisons pour lesquelles il a été choisi par ses confrères cardinaux était de mettre de l'ordre dans la bureaucratie sclérosée du Vatican. Cette tâche était attendue depuis longtemps. Le cardinal Bergoglio de Buenos Aires a été élu comme un relatif étranger avec la capacité de débloquer une partie du blocage au centre de l'Église. Mais cette mission s'est rapidement heurtée à une ligne de faille encore plus âpre dans l'Église, généralement décrite en termes de lutte entre les "libéraux", comme François, et les "conservateurs", comme ses ennemis. Pourtant, il s'agit là d'une classification glissante et trompeuse.
Le conflit central est entre les catholiques qui croient que l'Église devrait établir l'agenda du monde, et ceux qui pensent que le monde doit établir l'agenda de l'Église.Ce sont là des types idéaux: dans le monde réel, tout catholique sera un mélange de ces orientations, mais chez la plupart d'entre eux, l'une prédominera.
François est un parfait exemple de catholique "orienté vers l'extérieur" ou extraverti, surtout comparé à ses prédécesseurs immédiats. Ses adversaires sont des introvertis. Beaucoup ont d'abord été attirés par l'Eglise pour sa distance des préoccupations du monde. Un nombre surprenant des introvertis les plus en vue sont des convertis du protestantisme américain, certains motivés par le manque de profondeur des ressources intellectuelles avec lesquelles ils ont été élevés, mais beaucoup plus par le sentiment que le protestantisme libéral mourait précisément parce qu'il n'offrait plus aucune alternative à la société qui l'entourait. Ils veulent du mystère et de la romance, et non du bon sens stérile ou de la sagesse conventionnelle. Aucune religion ne pourrait s'épanouir sans cette impulsion.
Mais aucune religion globale ne peut non plus s'opposer entièrement au monde. Au début des années 1960, un rassemblement de trois ans d'évêques de toutes les parties de l'Église, connu sous le nom de Concile Vatican II, ou simplement Vatican II, "ouvrit les fenêtres sur le monde", selon les mots du Pape Jean XXIII, qui le mit en route, mais mourut avant la fin de ses travaux.
Le Concile renonça à l'antisémitisme, adopta la démocratie, proclama les droits universels de l'homme et abolit largement la Messe latine. Ce dernier acte, en particulier, a assommé les introvertis. L'auteur Evelyn Waugh, par exemple, n'est jamais allée à une messe anglaise après la décision. Pour des hommes comme lui, les rituels solennels d'un service accompli par un prêtre avec le dos tourné à la congrégation, parlant entièrement en latin, face à Dieu sur l'autel, étaient le cœur même de l'Église - une fenêtre sur l'éternité ouverte à chaque représentation. Le rituel a été au centre de l'Église sous une forme ou une autre depuis sa fondation.
Le changement symbolique induit par la nouvelle liturgie - en remplaçant le prêtre introverti faisant face à Dieu devant l'autel par la figure extravertie faisant face à sa congrégation - fut immense. Certains conservateurs ne se sont pas encore réconciliés avec la réorientation; parmi eux, le cardinal ghanéen Robert Sarah, vanté par les introvertis comme successeur possible de François, et le cardinal américain Raymond Burke, devenu l'opposant le plus en vue de François. La crise actuelle, selon les mots de la journaliste catholique anglaise Margaret Hebblethwaite, partisane passionnée de François, n'est rien de moins que "Vatican II qui revient".
"Nous devons être inclusifs et accueillants à tout ce qui est humain", a dit Sarah lors d'une rencontre au Vatican l'année dernière, dans une dénonciation des propositions de François, "mais ce qui vient de l'Ennemi ne peut et ne doit pas être assimilé. Vous ne pouvez pas rejoindre le Christ et Bélial! Ce que le fascisme nazi et le communisme étaient au XXe siècle, les idéologies occidentales de l'homosexualité et de l'avortement et le fanatisme islamique le sont aujourd'hui".
Dans les années qui ont suivi immédiatement le concile, les religieuses ont abandonné leur habit, les prêtres ont découvert des femmes (plus de 100 mille ont quitté le sacerdoce pour se marier) et les théologiens ont jeté les chaînes de l'orthodoxie introvertie. Après 150 ans de résistance et de répulsion contre le monde extérieur, l'Église s'est retrouvée en contact avec lui partout, jusqu'à ce qu'il semble aux introvertis que tout l'édifice s'effondrait en ruines.
La fréquentation des églises a chuté dans le monde occidental, comme pour les autres dénominations. Aux Etats-Unis, 55% des catholiques allaient à la messe régulièrement en 1965, contre seulement 22% en 2000. En 1965, 1,3 million de bébés catholiques étaient baptisés aux Etats-Unis; en 2016, seulement 670 mille. La question de savoir s'il s'agissait d'une cause ou d'une corrélation demeure très controversée. Les introvertis la blâmaient pour l'abandon des vérités éternelles et des pratiques traditionnelles; les extravertis trouvaient que l'Église n'avait pas changé assez vite ou été trop loin.
En 1966, un comité pontifical de 69 membres, dont sept cardinaux et 13 médecins, dans lequel étaient également représentés des laïcs et même quelques femmes, vota massivement pour lever l'interdiction de la contraception artificielle, mais le pape Paul VI passa outre en 1968. Il ne pouvait pas admettre que ses prédécesseurs avaient eu tort, et les protestants raison. Pour une génération de catholiques, ce conflit est venu symboliser la résistance au changement. Dans le monde en voie de développement, l'Église catholique a été largement dépassée par un renouveau pentecôtiste énorme, qui offrait aux laïcs, y compris aux femmes, à la fois du spectacle et un statut.
Les introvertis se sont vengés avec l'élection du Pape (aujourd'hui Saint Pape) Jean-Paul II en 1978. Son Église polonaise avait été définie par son opposition au monde et à ses pouvoirs depuis que les nazis et les communistes avaient divisé le pays en 1939. Jean-Paul II était un homme d'une énergie, d'une volonté et de dons extraordinaires. Il était aussi profondément conservateur sur les questions de moralité sexuelle et avait, en tant que cardinal, fourni la justification intellectuelle de l'interdiction de la contraception. Dès le moment de son élection, il s'est mis à remodeler l'Église à son image. S'il ne pouvait pas lui insuffler son propre dynamisme et sa propre volonté, il pouvait, semblait-il, la purger de l'extraversion et l'installer à nouveau comme un rocher contre les courants du monde séculier.
Ross Douthat, le journaliste catholique [évoqué plus haut], était l'une des rares personnes du parti introverti à vouloir parler ouvertement du conflit actuel. Jeune homme, il fut l'un des convertis de l'Église du Pape Jean-Paul II. Il dit aujourd'hui: "L'Église peut être un foutoir [a mess], mais l'important est que le centre soit sain, et qu'on puisse toujours reconstruire les choses à partir du centre. L'important, dans la condition de catholique, c'est qu'on vous garantit la continuité au centre, et avec cela l'espoir de reconstitution de l'ordre catholique".
Jean-Paul II prit soin de ne jamais répudier les paroles de Vatican II, mais il s'efforça de les vider de l'esprit extraverti. Il s'employa à imposer une discipline féroce au clergé et aux théologiens. Il rendit le plus difficile possible pour les prêtres de partir et de se marier. Son allié dans ce domaine était la Congrégation pour la Défense (sic!) de la Foi, ou CDF, autrefois connue sous le nom de Saint-Office. La CDF est le plus institutionnellement introverti de tous les départements du Vatican (ou "dicastères", comme on les appelle depuis l'époque des empires romains; c'est un détail qui suggère le poids de l'expérience institutionnelle et de l'inertie - si le nom était assez bon pour Constantin, pourquoi le changer?).
Pour la CDF, le fait que le rôle de l'Église soit d'enseigner au monde, et non d'en recevoir des leçons, est un axiome. Elle traîne une longue histoire de punition des théologiens en désaccord: il leur a été interdit de publier, ou ils ont été renvoyés des universités catholiques.
Au début du pontificat de Jean-Paul II, la CDF publia Donum Veritatis (Le Don de la Vérité), un document expliquant que tous les catholiques doivent pratiquer la "soumission de la volonté et de l'intellect" à ce que le pape enseigne, même quand il n'est pas infaillible; et que les théologiens, bien qu'ils puissent être en désaccord et faire connaître leur désaccord à leurs supérieurs, ne doivent jamais le faire en public. Cela a été utilisé comme une menace, et parfois une arme, contre toute personne soupçonnée de dissidence "liberal" [au sens anglosaxon du terme, càd progressiste]. François, cependant, a retourné ces pouvoirs contre ceux qui avaient été leurs plus ardents défenseurs. Les prêtres catholiques, les évêques et même les cardinaux sont tous au service du pape, et peuvent à tout moment être licenciés. Les conservateurs devaient tout apprendre à ce sujet sous la direction de François, qui a renvoyé au moins trois théologiens de la CDF. Les jésuites exigent de la discipline.
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