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mardi, 30 septembre 2014

Mgr Luc Ravel: homélie d'ordination de Mgr Lovey

Homélie pour la Consécration épiscopale de Mgr Jean-Marie Lovey

images.jpegLe 28 septembre 2014 à la cathédrale de Sion Qu’est-ce qu’un troupeau sans pasteur ?

Et qu’est-ce qu’un pasteur sans troupeau ? J’aimerais donc parler à tous : au pasteur d’abord, aux brebis ensuite.

1. Que pouvons-nous dire au pasteur, à notre frère dans le sacerdoce et notre confrère dans la vie canoniale ?

Un évêque reste l’homme qu’il est. C’est d’ailleurs ce que je peux souhaiter de meilleur à notre nouvel évêque. En tant qu’homme, il coïncide si bien à cette belle terre du Valais que nous pouvons tous en rendre grâce. C’est une bonne terre en forme de couffin, aux bords aiguisés, où coule le grand fleuve. C’est une bonne terre où le silence des cimes répond à la vie de la vallée. Là-haut sur les crêtes, on s’imbibe de silence comme l’éponge dans le torrent absorbe l’eau. D’un silence plein de vent, de lumière, de neige, de rocs et de risques qui font naître la liberté.

Quand il redescend dans la vallée, de cet homme imprégné de silence et pressé par les siens, il sort un « jus » précieux : l’art de l’écoute. Car l’écoute est un art. Et c’est peut être le seul qui fasse ce lien si fort du pasteur aux brebis, qui donne au pasteur de sentir l’odeur des brebis, de les connaître par leur nom, c’est à dire par l’intérieur. C’est grâce à cet art de l’écoute qu’un jour le pasteur fait connaître et reconnaître sa voix. Car sa voix est alors le surplus d’un cœur liquide. Sa voix est le débordement d’un mélange chimique réussi entre ce qu’il entend des brebis et ce qu’il reçoit du Christ Pasteur.

Nous le savons : qu’est-ce qu’une parole forte si elle n’est pas portée par une voix connue ? Des mots parmi tant de bruits, des idées noyées dans les opinions… Elle ne touche pas. Elle ne concerne pas. C’est comme si elle ne s’adressait pas à nous. Pour qu’une parole d’évêque entraîne, elle doit être portée par une voix connue. Les brebis reconnaissent sa voix en ce qu’elle est le trop plein d’un cœur où sont mixés ensemble les mots des hommes et les mots de Dieu. Cet art de l’écoute donne aussi à l’évêque de se situer « géographiquement » par rapport au troupeau.

Le pape François nous l’explique ainsi : « L’évêque doit toujours favoriser la communion missionnaire dans son église diocésaine… par conséquent, parfois il se mettra devant pour indiquer la route et soutenir l’espérance du peuple, d’autres fois, il sera simplement au milieu de tous dans une proximité simple et miséricordieuse, et, en certaines circonstances, il devra marcher derrière le peuple, pour aider ceux qui sont restés en arrière et -surtout- pour que le troupeau lui-même possède un odorat pour trouver de nouveaux chemins. » (Pape François, La joie de l’Evangile, § 31) Savoir se situer n’est pas évident dans le flux continu des propositions, des appels, des manques d’un appareil encore très lourd. Mais l’art de l’écoute combat ce flux oppressant ; grâce à lui, l’évêque sait marcher où il faut : devant, au milieu, derrière.

2. C’est vers ce peuple de Dieu qui est au Valais, les brebis du Seigneur, que je me tourne maintenant.

L’évêque conduit le peuple mais le peuple construit l’évêque. L’effort à faire n’est pas seulement chez le jeune évêque. Le don de Dieu appelle une réponse de tous. Il y a, bien sûr, le besoin de s’adapter à un nouveau « chef ». On aimait l’ancien, on le connaissait : le changement impose à tous un effort. Toute entreprise fonctionne ainsi. Je ne m’attarde pas sur ce point : il s’agit ici de bien autre chose. L’effort à faire de la part des brebis, c’est d’abord d’expurger de leurs têtes l’idée d’un évêque tout fait, qui ne serait plus à faire une fois la célébration achevée : la consécration épiscopale ne fait pas d’un prêtre un super-prêtre à la façon des super-héros, instantanément dotés de super-pouvoirs.

L’évêque ne devient pas un super-prêtre, plus fort, plus intelligent, plus saint que ses prêtres. Si c’était le cas, ça se saurait ! Il en va de l’évêque comme de tout chrétien : Baptisé, deviens ce que tu es. Evêque, deviens ce que tu es !

Dieu donne une semence qui se développe progressivement. C’est dans le temps avec les autres, dans les contacts avec les autres, dans un long apprentissage avec les autres, surtout avec le peuple confié, que nous mûrissons notre don épiscopal. La semence profite de la terre pour devenir un arbre immense. A condition que la terre joue le jeu. Un souvenir personnel encore frais. Il y a cinq ans, d’un coup, sans expérience, sans aucune connaissance du milieu des aumôniers militaires, je suis devenu évêque aux armées françaises. D’un coup, tous attendaient de moi que je prenne des décisions rapides, justes, prudentes et… efficaces ! Quelle impression terrible de sentir tous les regards tournés vers moi, évêque ne sachant même pas encore marcher comme un évêque ! Bien sûr, il y avait là un beau témoignage de confiance ; une belle mise en lumière de la puissance de la grâce.

Mais enfin, Dieu n’use pas de baguette magique. Le sacrement n’est pas une potion de sorcier qui nous transforme instantanément en un évêque complet et expérimenté. On est évêque par le don de Dieu. Mais on devient évêque grâce à l’aide des brebis. Mes amis, puisque Dieu l’a fait évêque, aidez votre évêque à devenir évêque ! C’est là votre responsabilité première à son égard. Vous en rendrez des comptes à Dieu.

3. Comment concrètement l’aider ?

Quand saint Augustin évoque son fardeau d’évêque, il parle aussi au peuple de sa responsabilité. Dans un des sermons, il exhorte le peuple d’Hippone : « Que vos prières me viennent en aide, afin que (le Christ), daigne porter mon fardeau avec moi. Lorsque vous priez en ce sens, vous priez aussi pour vous ; car mon fardeau, celui dont je parle actuellement ; qu’est-ce d’autre, si ce n’est vous ? » (Sermon 340) Le fardeau de l’évêque, sa mission, sa préoccupation, c’est vous. Non pas d’abord des choses à faire, un diocèse à faire tourner.

Mais notre « cahier de charges » d’évêque, c’est vous. Vous, têtes brunes, blondes ou blanches, vous déjà plongés dans la vie ecclésiale ou encore loin de l’Eglise. Priez pour lui, non pour qu’il se convertisse à vos idées mais pour qu’il soit toujours plus uni au Christ. Voilà la première aide à l’évêque : prier que le Christ soit avec Lui au maximum. Mais Augustin ajoute : « Priez pour que j’aie des forces, comme je prie pour que vous ne soyez pas trop lourds… » (Sermo 340).

Voici la deuxième aide à l’évêque : ne soyez pas trop lourds. Mieux encore : devenez plus légers. Pardon pour ceux qui pâtissent déjà sur des régimes alimentaires mais je dois le redire avec saint Augustin : sur le plan de l’esprit, perdez du poids, allégez-vous. Mettez-vous au régime de l’Esprit saint en évitant le surpoids de la vanité, de l’individualisme. Si vous devenez plus légers par l’Amour, vous allègerez la charge de votre évêque… Mais il s’agit d’un Amour en acte : « Prêtez attention, vous aussi au danger où vous êtes. …/… Les paroles vous plaisent, je réclame des actes. » (Sermon 17, 2 et 17).

Nous en venons donc à la troisième manière d’aider votre évêque : obéissez-lui pour mettre en sons réels la partition que l’Esprit-Saint écrit dans vos cœurs. Je m’attarde sur ce point car il y a à réfléchir sur cette obéissance. Peut-être résume-t-elle le lien entre les brebis et le pasteur ? Si le lien entre le pasteur et ses brebis est bien ajusté quand il se vit dans l’art de l’écoute, réciproquement, dans l’autre sens, le lien entre les brebis et le pasteur est bien ajusté quand il se vit dans l’art de l’obéissance. J’en viens à ce beau témoignage de Madeleine Delbrêl à son retour d’un voyage éclair à Rome en mai 1952 : « J’ai découvert pendant mon voyage, et à Rome, l’immense importance dans la foi et dans la vie de l’Eglise, des évêques… Il m’a semblé que, vis à vis de ce que nous appelons l’autorité, nous agissons tantôt comme des fétichistes, tantôt comme des libéraux.

Nous ne refluons pas vers les évêques avec ce que nous rencontrons, connaissons du monde. Ou bien nous obéissons comme un soldat de 2ème classe ; ou bien nous présentons au mieux nos desiderata à leur signature. Nous n’apportons pas les images des yeux au cerveau, les sensations etc. Nous sommes sous le régime des autorisations, non de l’autorité, qui serait d’apporter de quoi « faire », de quoi être les « auteurs » de l’œuvre de Dieu. » (Madeleine Delbrêl, Voyage éclair à Rome, dans Nous autres gens des rues, Seuil, Paris 1966, pp. 137-139) Je le redis à ma façon : la véritable obéissance, c’est de venir à votre évêque avec les yeux brillants, les oreilles ouvertes, les mains boueuses, certainement, les cœurs brûlants d’avoir palpé, senti, écouté, vu et partagé les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses de notre monde.

L’Esprit vous guide dans le réel, dans votre famille, votre travail, votre inscription dans le monde. Laissez-le parler en vous. Parlez à votre évêque sous l’Esprit, parlez-lui des hommes qui souffrent et aussi de ceux qui chantent ; et pourquoi ils souffrent et pourquoi ils chantent ; et pourquoi ils pensent et pourquoi ils aiment ; et pourquoi ils vivent sans Dieu et pourquoi ils vivent de Dieu. Et terminez donc en lui disant : « me voici, que dois-je faire pour le Royaume ? » Et c’est ainsi qu’à travers vous, l’évêque écoute toujours l’Esprit.

+ Luc Ravel, évêque aux armées françaises

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