mardi, 26 novembre 2013
Pape François: la joie de l'Evangile - Evangelii Gaudium
RESUME DE L'EXHORTATION "EVANGELII GAUDIUM"
Cité du Vatican, 26 novembre 2013 (VIS).
"La joie de l’Evangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus": c’est par ces mots que s’ouvre l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium dans laquelle le Pape François développe le thème de l’annonce de l’Evangile dans le monde actuel, en se basant, entre autres, sur la contribution offerte par les travaux du Synode qui s’est déroulé au Vatican du 7 au 28 octobre 2012 ("La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne").
Après l'encyclique Lumen Fidei, rédigée en collaboration avec Benoît XVI, Evangelii Gaudium est le premier texte entièrement de la main du Pape François. Je désire, écrit-il, "m’adresser aux fidèles chrétiens, pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Eglise dans les prochaines années ". Il s’agit d’un appel vibrant à tous les baptisés afin que, avec une ferveur et un dynamisme nouveaux, ils portent à leurs prochains l’amour de Jésus dans un "état permanent de mission", en évitant "le grand risque du monde d’aujourd’hui, celui de tomber dans "une tristesse individualiste".
Le Pape invite à "retrouver la fraîcheur originale de l’Evangile", en cherchant "de nouvelles voies" et "des méthodes créatives", et à ne pas enfermer Jésus dans nos "schémas ennuyeux". Il faut une "conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont" et une "réforme des structures" ecclésiales pour les rendre plus missionnaires. Le Souverain Pontife pense aussi à une "conversion de la papauté" pour qu’elle soit "plus fidèle à la signification que Jésus Christ entend lui donner et aux besoins actuels de l’évangélisation".
Le souhait que les Conférences épiscopales puissent offrir leur contribution afin que "le sentiment collégial se réalise concrètement ne s’est pas pleinement réalisé". Il est nécessaire de procéder à une "décentralisation salutaire". Dans ce processus de renouveau, il ne faut pas avoir peur de réviser certaines coutumes de l’Eglise qui ne sont pas "directement liées au cœur de l’Evangile…certains usages s’étant très enracinés dans le cours de l’histoire".
Pour témoigner de l’accueil de Dieu, il faut "avoir partout des Eglises avec les portes ouvertes" afin que ceux qui cherchent ne rencontrent pas "la froideur d’une porte close". "Même les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison". Ainsi, l’Eucharistie "n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer avec prudence et audace".
Le Pape réaffirme qu’il préfère une Eglise "accidentée, blessée et sale pour être sortie dans la rue, plutôt qu’une Eglise malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Eglise préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper…c’est que tant de nos frères vivent" sans l’amitié de Jésus-Christ.
Le Pape énonce ensuite les tentations auxquelles sont exposés les agents pastoraux, de l'individualisme à la crise d’identité et au déficit de ferveur. "La plus grande menace" c’est "le triste pragmatisme de la vie quotidienne de l’Eglise, dans lequel apparemment tout arrive normalement, alors qu’en réalité, la foi s’affaiblit". Le Pape exhorte à ne pas se laisser saisir par un "pessimisme stérile" à être des signes d’espérance en réalisant la "révolution de la tendresse". Il faut repousser la "spiritualité du bien-être" qui refuse "les engagements fraternels" et vaincre "la mondanité spirituelle" qui "consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine".
Le Pape parle de ceux qui "se sentent supérieurs aux autres" parce qu’ils sont "inébranlablement fidèles à un certain style catholique propre au passé" et qui "au lieu d’évangéliser, analysent et classifient les autres" et de ceux qui manifestent "un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Eglise, mais sans que la réelle insertion de l’Evangile dans le Peuple de Dieu les préoccupe". Il s’agit là "d’une terrible corruption sous l’apparence du bien… Que Dieu nous libère d’une Eglise mondaine sous des drapés spirituels et pastoraux!".
Le Pape demande aux communautés ecclésiales de ne pas se laisser aller à l’envie et à la jalousie: "A l’intérieur du Peuple de Dieu et dans les diverses communautés, que de guerres!". "Qui voulons-nous évangéliser avec de tels comportements?". Il souligne la nécessité d’accroître la responsabilité des laïcs, qui sont maintenus "en marge des décisions" par "un cléricalisme excessif". Il affirme "qu’il faut encore élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Eglise", en particulier "dans les divers lieux où sont prises des décisions importantes". "Les revendications des droits légitimes des femmes…ne peuvent être éludées superficiellement". Les jeunes doivent avoir un rôle plus important. Face à la pénurie des vocations dans certaines régions, il affirme qu’on ne peut pas "remplir les séminaires sur la base de n’importe quelles motivations".
Abordant le thème de l’inculturation, le Pape rappelle que "le christianisme n’a pas un seul modèle culturel" et que le visage de l’Eglise est "multiforme". "Nous ne pouvons pas prétendre que tous les peuples de tous les continents, en exprimant la foi chrétienne, imitent les modalités adoptées par les peuples européens à un moment précis de leur histoire". Le Pape réaffirme "la force évangélisatrice de la piété populaire" et encourage la recherche des théologiens en les invitant à viser la finalité évangélisatrice de l’Eglise et à ne pas se contenter "d’une théologie de bureau".
Le Pape s’attarde "avec soin sur les homélies" parce que "nous ne pouvons pas rester sourds aux nombreuses réclamations concernant cet important ministère". Les homélies "doivent être brèves et éviter de ressembler à une conférence ou à un cours", elles doivent savoir dire "des paroles qui font brûler les cœurs", et surtout ne pas se limiter à faire la morale et à vouloir endoctriner. Les homélies, il faut les préparer: "Un prédicateur qui ne se prépare pas n’est pas “spirituel”, il est malhonnête et irresponsable envers les dons qu’il a reçus". "Une bonne homélie…doit contenir une idée, un sentiment, une image".
La prédication doit être positive, offrir toujours l’espérance et ne pas laisser les fidèles "prisonniers de la négativité". L’annonce de l’Evangile elle-même doit avoir des connotations positives, la "proximité, l'ouverture au dialogue, la patience, l'accueil cordial qui ne condamne pas".
Evoquant les défis du monde contemporain, il dénonce le système économique actuel: "il est injuste à sa racine". "C’est une économie qui tue" parce que c’est la "loi du plus fort" qui prévaut. La culture actuelle du déchet a engendré "quelque chose de nouveau": "Les exclus ne sont pas des exploités, mais des déchets, des restes". Nous vivons "une tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable", un "marché divinisé" où règnent "la spéculation financière", "une corruption ramifiée", "une évasion fiscale égoïste". Le Pape dénonce les "atteintes à la liberté religieuse" et les "nouvelles situations de persécution des chrétiens… Dans de nombreux endroits, il s’agit plutôt d’une indifférence relativiste diffuse".
La famille traverse une crise culturelle profonde". Réaffirmant "la contribution indispensable du mariage à la société" il souligne que "l’individualisme postmoderne et mondialisé favorise un style de vie qui affaiblit le développement et la stabilité des liens entre les personnes, et qui dénature les liens familiaux".
Le Pape réaffirme par ailleurs "la connexion intime entre évangélisation et promotion humaine" et le droit des Pasteurs "d’émettre des opinions sur tout ce qui concerne la vie des personnes". "Personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale". Il cite Benoît XVI lorsqu’il affirme que l’Eglise "ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice". Pour l’Eglise, l’option pour les pauvres est une catégorie "théologique" avant d’être sociologique. "Pour cette raison, je désire une Eglise pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner". "Tant que ne seront pas résolus radicalement les problèmes des pauvres…les problèmes du monde ne seront pas résolus".
"La politique tant dénigrée -affirme-t-il encore- est…une des formes les plus précieuses de la charité". "Je prie le Seigneur qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment à cœur la vie des pauvres!". Puis cet avertissement: Toute communauté de l’Eglise qui oublie les pauvres "court aussi le risque de la dissolution".
Le Pape exhorte à prendre soin des plus faibles, "les sans-abris, les toxicomanes, les réfugiés, les populations indigènes, les personnes âgées toujours plus seules et abandonnées" et les migrants et il encourage les nations "à une généreuse ouverture". Il évoque les victimes de la traite et des nouvelles formes d’esclavage: "Ce crime mafieux et aberrant est implanté dans nos villes, et beaucoup ont les mains qui ruissellent de sang à cause d’une complicité confortable et muette".
"Doublement pauvres sont les femmes qui souffrent des situations d’exclusion, de maltraitance et de violence". "Parmi les faibles dont l’Eglise veut prendre soin avec prédilection" il y a "aussi les enfants à naître, qui sont les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on veut nier aujourd’hui la dignité humaine". "On ne doit pas s’attendre à ce que l’Eglise change de position sur cette question… Ce n’est pas un progrès de prétendre résoudre les problèmes en éliminant une vie humaine". Suit un appel au respect de toute la création: "Nous sommes appelés à prendre soin de la fragilité du peuple et du monde dans lequel nous vivons".
En ce qui concerne le thème de la paix, le Pape affirme qu’il faut des voix prophétiques car certains veulent instaurer une fausse paix "qui servirait d’excuse pour justifier une organisation sociale qui réduit au silence ou tranquillise les plus pauvres, de manière à ce que ceux qui jouissent des plus grands bénéfices puissent conserver leur style de vie". Pour la construction d’une société bénéficiant de la paix, de la justice et de la fraternité, le Pape indique quatre principes: "le temps est supérieur à l’espace" cela veut dire "travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats".
"L’unité prévaut sur le conflit" cela veut dire œuvrer afin que les oppositions parviennent à une "unité multiforme qui puisse engendrer une nouvelle vie". "La réalité est plus importante que l’idée" cela veut dire éviter que la politique et la foi se réduisent à la rhétorique. "Le tout est supérieur à la partie" cela veut dire mettre ensemble globalisation et localisation.
L’évangélisation, poursuit le Saint-Père, "implique aussi un chemin de dialogue" qui permette à l’Eglise de collaborer avec toutes les réalités politiques, sociales, religieuses et culturelles. L’œcuménisme est "un chemin incontournable de l’évangélisation". L’enrichissement réciproque est important: "Nous pouvons apprendre tant de choses les uns des autres!", par exemple "dans le dialogue avec les frères orthodoxes, nous les catholiques, nous avons la possibilité d’apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur l’expérience de la synodalité"; "le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus"; "le dialogue inter-religieux", qui doit être mené "avec une identité claire et joyeuse", est "une condition nécessaire pour la paix dans le monde" et il n’éclipse pas l’évangélisation;
"La relation avec les croyants de l’Islam acquiert à notre époque une grande importance": le Pape implore "humblement" les pays de tradition musulmane d’assurer la liberté religieuse aux chrétiens, "prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux! Face au fondamentalisme violent qui nous inquiète, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence".
Et contre la tentative de privatiser les religions dans certains contextes, il affirme que "le respect dû aux minorités agnostiques et non croyantes ne doit pas s’imposer de manière arbitraire qui fasse taire les convictions des majorités croyantes ni ignorer la richesse des traditions religieuses". Le Pape réaffirme l’importance du dialogue et de l’alliance entre croyants et non-croyants.
Le dernier chapitre est consacré aux évangélisateurs avec esprit, "ceux qui s’ouvrent sans crainte à l’action de l’Esprit Saint" qui "infuse la force pour annoncer la nouveauté de l’Evangile avec audace, (Parresia), à voix haute, en tout temps et en tout lieu, même à contre-courant". Ces "évangélisateurs prient et travaillent", en sachant que "la mission est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple": "Jésus veut que nous touchions la misère humaine, la chair souffrante des autres". "Dans notre rapport avec le monde nous sommes invités à rendre compte de notre espérance, mais non pas comme des ennemis qui montrent du doigt et condamnent".
Pour être missionnaires, il faut chercher le bien du prochain et désirer le bonheur des autres: "si je réussis à aider une seule personne à vivre mieux, cela justifie déjà le don de ma vie". Il invite à ne pas se décourager face aux échecs ou aux faibles résultats parce que la "fécondité est souvent invisible, insaisissable, elle ne peut pas être comptée"; "nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire". L’exhortation s’achève par une prière à Marie "Mère de l’évangélisation". "Il y a un style marial dans l’activité évangélisatrice de l’Eglise. Car, chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection".
Pour lire ou décharger le document pontifical: htpp://www.vatican.va/phome_fr.htm
PRESENTATION DE L'EXHORTATION APOSTOLIQUE
Cité du Vatican, 26 novembre 2013 (VIS).
Ce matin, près la Salle de Presse, Mgr.Rino Fisichella, Président du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, Mgr.Lorenzo Baldisseri, Secrétaire général du Synodes des évêques, et Mgr.Claudio Celli, Président du Conseil pontifical pour les communications sociales, ont présenté l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium (La joie de l'Evangile), écrite par le Saint-Père dans le sillage du synode d'octobre 2012.
Le document se compose de 222 pages divisées en une présentation et cinq chapitres (La transformation missionnaire de l'Eglise, Dans la crise de l'engagement communautaire, L'annonce de l'Evangile, Tout le peuple de Dieu annonce l'Evangile, La dimension sociale de l'évangélisation, Evangélisateurs avec l'Esprit). Voici le texte prononcé par Mgr.Fisichella, avec les renvois de paragraphe des citations:
"L’Exhortation apostolique du Pape François écrite à la lumière de la joie, pour redécouvrir la source de l’évangélisation dans le monde contemporain. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le contenu de ce nouveau document que le Pape François donne à l’Eglise pour préciser les chemins que la pastorale doit emprunter dans un avenir immédiat. C’est une invitation à retrouver une vision prophétique et positive de la réalité, sans pour autant se cacher les difficultés. Le Saint-Père nous encourage et nous engage à regarder devant nous, au-delà de ce temps de crise, faisant une nouvelle fois de la croix et de la résurrection du Christ l’étendard de la victoire (85).
A plusieurs reprises, le Pape fait référence aux Propositiones du synode de 2012, montrant ainsi combien la contribution du synode fut importante dans la rédaction de cette exhortation. Le document va cependant plus loin que l’expérience synodale. Le Pape y imprime non seulement sa propre expérience pastorale, mais aussi l’invitation à accueillir le moment de grâce que vit l’Eglise, afin d’avancer avec foi, conviction et enthousiasme la nouvelle étape de l’évangélisation. Reprenant l’enseignement de Evangelii nuntiandi de Paul VI, il place de nouveau au centre la personne de Jésus-Christ, premier évangélisateur qui appelle chacun de nous à prendre part avec lui à l’œuvre du salut (12). L’action missionnaire est le paradigme de toute œuvre de l’Eglise (15) affirme le Saint Père. C’est pourquoi il nous faut accueillir ce temps favorable pour discerner et vivre la nouvelle étape de l’évangélisation (17) qui s’articule autour de deux thèmes qui forment la trame de l’exhortation.
D’une part, le Pape François s’adresse aux Eglises particulières, confrontées aux défis et aux opportunités propres aux différents contextes culturels, pour qu’elles soient en mesure de spécifier le travail de nouvelle évangélisation dans leurs pays. D’autre part, le Pape indique un dénominateur commun, pour que toute l’Eglise, et chaque évangélisateur, puisse adopter une méthode commune, signe que l’évangélisation est un chemin où l’on marche à plusieurs, jamais de façon isolée. Les sept points, regroupés dans les cinq chapitres de l’exhortation, constituent la vision du Pape à propos de la nouvelle évangélisation: La réforme de l’Eglise sur la voie de la mission, les tentations des agents pastoraux, l’Eglise comprise comme la totalité du peuple de Dieu qui évangélise, l’homélie et sa préparation, l’intégration sociale des pauvres, la paix et le dialogue social, les motivations spirituelles de l’engagement missionnaire. Le lien entre tous ces thèmes est l’amour miséricordieux de Dieu qui va à la rencontre de chacun pour manifester le cœur de la révélation, la vie de chacun trouve son sens dans la rencontre de Jésus-Christ et dans la joie de partager cette expérience d’amour avec les autres (8).
Le premier chapitre développe la réforme de l’Eglise sur la voie de la mission, appelée à sortir d’elle-même pour aller à la rencontre des autres. Le Pape y exprime la dynamique de l’exode et du don que représente le fait de sortir de soi, de cheminer et de semer toujours, et toujours plus loin (21). L’Eglise doit faire sienne l’intimité de Jésus qui est une intimité itinérante (23). Comme nous y sommes désormais habitués, le Pape s’attarde en des expressions qui font leur effet et crée des néologismes pour faire comprendre la nature de l’évangélisation. Parmi eux, le Primerear, c’est-à-dire Dieu qui nous précède dans l’amour, montrant à l’Eglise le chemin à parcourir. L’Eglise n’est pas dans une obscure impasse, mais avance sur les pas du Christ (Cf 1 P 2, 21), pour cela sûre du chemin qu’elle parcourt. C’est pourquoi elle avance sans peur. Elle sait qu’elle doit aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin, parvenir jusqu’aux croisements des routes pour inviter les exclus. Son désir de proposer la miséricorde est inépuisable (24). Pour aller dans cette voie, le Pape François insiste sur la « conversion pastorale, qui veut dire passer d’une vision bureaucratique, statique et administrative de la pastorale à une perspective missionnaire, où la pastorale est en état permanent d’évangélisation (25).
De même qu’il y a des structures qui facilitent et soutiennent la pastorale missionnaire, il y a malheureusement « des structures ecclésiales qui peuvent conditionner le dynamisme évangélisateur » (26). L’existence de pratiques pastorales dépassées et fanées oblige à la créativité pour repenser l’évangélisation. En ce sens, le Pape affirme qu'une détermination des objectifs sans un travail de recherche communautaire des moyens à prendre pour les atteindre est vouée à demeurer une pure fantaisie (33). Il faut donc se concentrer sur l’essentiel (35) et savoir que seule une dimension systématique, c’est à dire unifiée, progressive et proportionnée de la foi, peut nous venir en aide. L’Eglise doit pouvoir établir une hiérarchie des vérités et sa relation avec le cœur de l’Evangile (37 - 39). Il nous faudra éviter de tomber dans le piège d’une présentation de la foi seulement sous son aspect moral, en d’éloignant du caractère central de l’amour.
Dans le cas contraire, l’édifice moral de l’Eglise risque de s’effondrer comme un château de carte, et ceci est le plus grand danger (39). Le Pape insiste fortement pour que l’on trouve l’équilibre entre le contenu de la foi et le langage pour l’exprimer. La rigidité avec laquelle on tient à la précision du langage peut parfois en ruiner le contenu en se détournant d’une authentique vision de la foi (41). Le passage important de ce chapitre est le n° 32 où le Pape montre l’urgence qu’il y a à avancer dans certaines perspectives de Vatican II. Il s’agit en particulier du primat du Successeur de Pierre et des Conférences épiscopales. Déjà, dans Ut unum sint, Jean-Paul II avait demandé qu’on l’aide à mieux comprendre les objectifs du Pape dans le dialogue œcuménique. Le Pape François va dans le même sens et se demande si une telle aide ne pourrait pas parvenir d’une évolution du statut des Conférences épiscopales. Un autre passage (n° 38 - 45) est particulièrement important quant aux conséquences qu’il implique dans la pastorale: Le cœur de l’Evangile s’incarne dans les limites du langage humain. La doctrine s’insère dans la cage du langage, pour employer une expression chère à Wittgenstein, ce qui implique un vrai discernement entre la pauvreté et les limites du langage, et la richesse -souvent encore inconnue- du contenu de la foi. Le danger est réel que l’Église ne prenne pas en compte cette dynamique. Il peut ainsi arriver que sur certaines positions, il y ait comme un enfermement et une sclérose du message évangélique, en n’en percevant plus le développement propre.
Le deuxième chapitre est consacré aux défis du monde contemporain et aux tentations qui amoindrissent la nouvelle évangélisation. Tout d’abord, le pape affirme qu’il est nécessaire de retrouver son identité sans complexe d’infériorité qui amènerait à cacher son identité et ses convictions… parvenant ainsi à étouffer la joie de la mission en une sorte d’obsession d’être comme tout le monde et d’avoir ce que les autres possèdent (79). Les chrétiens tombent alors dans un relativisme encore plus dangereux que le relativisme doctrinal (80), parce qu’il touche directement la façon de vivre des chrétiens. Il arrive ainsi que dans de nombreuses manifestations de la pastorale, les initiatives sont plombées par la mise en avant de l’initiative et non des personnes. Le pape affirmé que la tentation est réelle et commune d’une dépersonnalisation de la personne. De la même façon, le défi de l’évangélisation devrait être abordé comme une chance pour croître, plutôt que comme une raison de tomber en dépression. Mort à l’esprit défaitiste (88). Il nous faut retrouver le primat de la relation personnelle sur la technique de la rencontre qui déciderait comment, où et pour combien de temps il faudrait rencontrer les autres en partant de ses préférences (88). Parmi ces défis, il nous faut relever ceux qui ont un rapport direct avec la vie. La précarité quotidienne avec ses funestes conséquences, les différentes formes de disparité sociale, le fétichisme de l’argent et la dictature d’une économie sans visage, l’exaspération de la consommation et le consumérisme effréné… nous place face à une globalisation de l’indifférence et une dépréciation moqueuse de la morale, qui exclut toute critique de la domination du marché, qui, à travers la théorie de la rechute favorable illusionne sur les réelles possibilités d’agir en faveur des pauvres (n° 52 - 64). Si l’Eglise demeure crédible en beaucoup de pays du monde, y compris là où elle est minoritaire, c’est en raison de ses œuvres de charité et de solidarité (65)
Pour l’évangélisation de notre temps, face au défi des grandes cultures urbaines, les chrétiens sont invités à fuir deux expressions qui en détruisent la nature et que le Pape François appelle mondanité (93). Il s’agit en premier lieu de la fascination du gnosticisme, une foi repliée sur elle-même, sur ses certitudes doctrinales, et qui transforme l’expérience qu’on en fait en critères de vérité pour juger les autres. Le néo pélagianisme autoréférentiel et prométhéen de ceux pour qui la grâce n’est qu’un accessoire tandis que leur engagement et leurs forces sont seuls responsables du progrès. Tout ceci contredit l’évangélisation et crée une sorte d’élitisme narcissique qui doit être repoussé (94). Qui voulons-nous être, se demande le Pape? Généraux d’armées vaincues ou bien simples soldats d’un bataillon qui continue à combattre » ? Le risque d’une « Eglise mondaine drapée dans le spirituel et le pastoral » (96) est bien réel. Il nous faut donc résister à ces tentations et offr ir le témoignage de la communion (99) qui s’appuie sur la complémentarité. A partir de là, le Pape François milite pour la promotion des laïcs et des femmes, de l’engagement pour les vocations et les prêtres. Regarder ce que l’Eglise a accompli comme progrès ces dernières années nous éloigne d’une mentalité de pouvoir, au profit du service pour une construction unifiée de l’Eglise (102 - 108).
L’évangélisation est la mission de tout le peuple de Dieu, sans exclusive. Elle ne peut être réservée ou déléguée à un groupe particulier. Tous les baptisés sont directement concernés.
Dans le troisième chapitre de l’exhortation, le Pape en explique le développement et ses étapes. On met en évidence en premier lieu le primat de la grâce qui agit inlassablement dans la vie de tout évangélisateur (112). Puis est développé le rôle des différentes cultures dans le processus d’inculturation de l’Evangile, et le danger de tomber dans l’orgueilleuse sacralisation de sa propre culture (117). Enfin, on parle du rôle fondamental de la rencontre personnelle (127-129) et du témoignage de vie (121). On insiste enfin sur la valeur de la piété populaire, où s’exprime la foi authentique de tant de personnes qui donnent ainsi le témoignage de la simplicité de la rencontre de l’amour de Dieu (122 - 126). Pour terminer, le Pape invite les théologiens à valoriser les diverses formes d’évangélisation (133), et s’arrête assez longuement sur l’homélie comme forme privilégiée d’évangélisation, et qui demande une vraie passion et un vrai amour de la Parole de Dieu et du peuple qui nous est confié (135 - 158).
Le quatrième chapitre est consacré à la dimension sociale de l’évangélisation. C’est un thème cher au Pape François parce que si cette dimension n’est pas clairement prise en compte, on court le risque de défigurer le sens authentique et intégral de la mission d’évangélisation (176). C’est le thème majeur du lien entre l’annonce de l’Evangile et la promotion de la vie humaine en toutes ses expressions. La promotion intégrale de toute personne nous empêche d’enfermer la religion en un fait privé, dépourvu de conséquences sur la vie sociale et publique. Une « foi authentique implique toujours un désir profond de changer le monde (183). Deux grands thèmes font partie de ce passage de l’exhortation. Le Pape en parle avec une grande passion évangélique, conscient que l’avenir de l’humanité est en jeu: L’intégration sociale des pauvres et la paix et le dialogue social. S’agissant du premier point, l’église, à travers la nouvelle évangélisation ressent comme sienne la mission de collaborer pour résoudre les causes instrumentales de la pauvreté et pour promouvoir le développement intégral des pauvres, comme d’accomplir des gestes simples et quotidiens de solidarité face à la misère concrète « qui est chaque jour devant nos yeux »(188).
Ce qui ressort de ces pages denses, c’est l’appel à reconnaitre la « force salvifique » des pauvres, et qui doit être au centre de la vie de l’Eglise avec la nouvelle évangélisation (198). Il nous faut donc redécouvrir d’abord l’attention, l’urgence, la conscience de ce thème , avant toute expérience concrète. Pour le Pape François, non seulement l’option fondamentale pour les pauvres doit être réalisée, mais elle est d’abord une attention spirituelle et religieuse et est pour cela prioritaire (200). Sur ces thèmes, la parole du Pape est franche et sans détour. Le pasteur d’une Eglise sans frontière (210), ne peut se permettre de regarder ailleurs. C’est pourquoi il demande avec force de considérer la question des migrants et énonce clairement les nouvelles formes d’esclavage. Où est celui qui tue chaque jour dans la petite fabrique clandestine, dans le système de prostitution, les enfants utilisés pour mendier, en celui qui doit travailler caché parce qu’il n’est pas régularisé? Ne nous leurrons pas. Il y a de nombreuses complicités (211). De mille manières, le Pape défe nd la vie humaine depuis son commencement et la dignité de tout être vivant (213). Sur le second aspect, Il énonce quatre principes qui sont le dénominateur commun pour l’avancée de la paix et sa traduction sociale. Peut-être en mémoire de ses études sur R.Guardini, le Pape François semble créer une nouvelle opposition polaire. Il rappelle en effet que le temps est supérieur à l’espace, l’unité a le dessus sur le conflit, la réalité est plus importante que les idées, et le tout est supérieur aux parties. Ceci nous amène au dialogue comme première contribution à la paix, et qui concerne, dans l’exhortation, la science, l’œcuménisme et le rapport avec les religions non chrétiennes.
Le dernier chapitre traite de l’esprit de la nouvelle évangélisation (260). Elle se développe sous l’action de l’Esprit qui anime de façon toujours nouvelle l’élan missionnaire à partir de la vie de prière où la contemplation tient la place centrale (264). La Vierge Marie, étoile de la nouvelle évangélisation, est présentée en conclusion comme l’icône de l’annonce et la transmission de l’Evangile que l’Eglise est appelée à vivre avec enthousiasme et dans l’amour du Seigneur Jésus. Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation! (83). Le langage de cette exhortation apostolique est clair et immédiat, sans rhétorique ni sous-entendu. Le Pape François va au cœur des problèmes de l’homme d’aujourd’hui, qui demandent à l’Eglise plus qu’une simple présence. Il lui est demandé de renouveler ses programmes et sa pratique pastorale dans le sens de la nouvelle évangélisation. L’Evangile doit être adressé à tous, sans exclusive. Certains, cependant, sont privilégiés. Sans équivoque, le Saint-Père précise son orientation: Ce ne sont pas tant les amis et les riches voisins, mais plutôt les pauvres, les infirmes, ceux qui sont souvent dévalorisés et oubliés…aucun doute ou explication ne doivent affaiblir ce message si clair (48).
Comme en d’autres moments importants de son histoire, l’Eglise d’aujourd’hui ressent le besoin d’un regard attentif pour évangéliser à la lumière de l’adoration, avec ce regard contemplatif pour voir les signes de la présence de Dieu. Les signes des temps ne sont pas seulement encouragés, mais ils deviennent critères d’un témoignage efficace (71). Premier d’entre nous, le Pape François nous rappelle le mystère central de notre foi: Ne nous éloignons pas de la résurrection de Jésus, ne nous donnons jamais pour vaincus, arrivera ce qui arrivera (3). L’Eglise du Pape François se fait compagnon de route de nos contemporains en recherche de Dieu et désireux de le voir".
AUTRES ASPECTS DE "EVANGELII GAUDIUM"
Cité du Vatican, 26 novembre 2013 (VIS).
Au cours de la conférence de presse, le nouveau Secrétaire général du Synodes des évêques, a approfondi certains aspects de l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium, notamment la synodalité. Puis le Président du Conseil pontifical pour les communications sociales a abordé les aspects relevant de la communication.
D'abord Mgr.Lorenzo Baldisseri a expliqué que le document part du dernier synode, consacré à la nouvelle évangélisation et à la transmission de la foi, et insiste sur le caractère joyeux qui doivent les accompagner chez tous les chrétiens. Il a re-élaboré les propositions faites par les pères synodaux et composé un programme qui est placé sous les auspices d'un esprit missionnaire à 360 degrés: "On est d'emblée frappé par le mot joie qui ponctue le texte de la présentation à la fin", utilisé 95 fois pour souligner le caractère joyeux de l'Evangile... Les Propositiones synodales sont citées 27 fois" et le Pape développe son texte "selon un solide cadre doctrinal, biblique et magistériel, qui présente les divers aspects de la foi affirmant les principes appliqués à la vie. Il enrichit son exposé de citations des Pères comme Irénée, Ambroise ou Augustin, de citations des maîtres médiévaux comme Isaac de l'Etoile, Thomas d'Aquin ou Thomas de Kempis, de théologiens contemporains comme John Henry Newman, Henri de Lubac ou Romano Guardini, et d'écrivains comme Bernanos. Il faut ensuite noter les nombreuses références à l'exhortation Evangeli Nuntiandi de Paul VI à celles, post-synodales, de Jean-Paul II, mais aussi à des déclarations de l'Episcopat latino-américain (Puebla et Aparecida), à celle des Patriarches orientaux lors du récent synode, à plusieurs autres de Conférences épiscopales (Inde, USA, France, Brésil, Philippines, Congo)... Par synodalité le Pape François entend la transformation missionnaire de l'Eglise, dans le sens d'une Eglise qui sort d'elle même pour aller. Il propose ainsi une pastorale à 360 degrés" qui envisage une conversion allant jusqu'à "l'expression collégiale de l'exercice du primat...
Faisant référence à Vatican II et aux anciennes Eglises patriarcales, il souhaite que les conférences épiscopales puissent contribuer de manière féconde" au primat papal "et que la collégialité trouve des applications concrètes...en matière de doctrine comme de gouvernement. Sous l'aspect oecuménique, grâce également à l'expérience de la présence du Patirarche de Constantinople et de l'archevêque de Canterbury, la synodalité trouverait une expression particulière. Dans le dialogue avec les orthodoxes, les catholiques ont la possibilité d'apprendre quelque chose sur la collégialité épiscopale et l'usage de la synodalité".
Ensuite Mgr.Claudio Celli a traité de la dimension communicative de la nouvelle évangélisation vue par l'exhortation Evangelii Gaudium, qui montre l'attention du Saint-Père au monde contemporain, dans le domaine de la santé, de l'éducation, des media et à tout ce qu'entraînent les nouvelles technologies: "S'il s'agit de progrès et de succès, le Pape est conscient de ce que notre société de l'information est à tous les niveaux saturée par les informations, ce qui la conduit à une terrible superficialité. Il est temps de reposer la question morale, et c'est pour cela qu'il affirme l'importance d'une éducation qui prépare à la pensée critique tout en offrant une méthode d'appréciation des valeurs. Le document reconnaît que le progrès des techniques permet d'accroître les possibilités de rencontre, d'où l'exigence de diffuser une mystique de la vie communautaire, de la rencontre et de l'échange... Une large partie de l'exhortation est naturellement consacrée à la manière de communiquer le message. Le Pape est conscient de la rapidité de la communication et du fait que les media opèrent souvent une sélection des contenus, ce qui risque de faire passer un message mutilé ou réduit à des points secondaires...
Face à ces risques, il prône le réalisme et recommande de ne pas tenir pour acquis que l'interlocuteur soit au parfaitement fait de ce que nous lui adressons. Il faut qu'il puisse relier notre discours à l'essence de l'Evangile... D'où la nécessité de nous concentrer sur l'essentiel dans la communication, sur ce qu'il y a de plus beau, de plus grand, et de plus nécessaire. Il nous faut donc simplifier sans perdre la valeur du contenu, la vérité devant être proposée de façon plus convaincante et radieuse".
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