mercredi, 08 juin 2011
Le Cardinal Schönborn et Paolo Rodari
La parole au Prince
Une interviewe du cardinal Schönborn, par Paolo Rodari (8/6/2011)
La parole au prince.
Christoph von Schönborn, cardinal de Vienne, explique à Il Foglio que l'Eglise, après la tempête des prêtres pédophiles, doit se battre contre deux ennemis: le libertinisme et le puritanisme
5 juin 2011
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L'annus horribilis pour l'Eglise catholique, 2010, marquée par les accusations à l'Eglise et au Pape d'avoir couvert les péchés charnels du clergé commis sur les enfants, est passée. Les plaies sont encore ouvertes. Une partie du monde a tenté de pénétrer dans la peau et dans le coeur de l'église, pour la changer, la faire évoluer, la renouveler de l'extérieur. Comme si, mise devant son propre péché, l'Église devrait suivre une route pour elle inédite: embrasser inconditionnellement la modernité et ses critères radicalement sécularisés de l'existence.
L'Église a répondu avec Benoît XVI et ses paroles aux évêques irlandais: la pénitence.
Qui signifie certes expiation, mais aussi profonde "Révision de vie" (en français dans le texte). Un comportement pour elle traditionnel, mais un tournant par rapport à un long cycle historique des trente dernières années. Ce furent les vingt-six ans et demi du bienheureux Jean Paul II sur le trône de Pierre, un pontificat triomphant et évangéliquement envahissant, politiquement et spirituellement fort, même dans sa lente et douloureuse phase finale.
Des années de bataille doctrinale et culturelle, marquée par la conduite ratzingèrienne de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui ont culminé avec les débuts décidés de Benoît XVI , avec les grandes homélies et les discours à la veille de l'élection, dirigés contre le relativisme éthique et sa dictature, avec le discours sur l'herméneutique du Concile tenu par le nouveau pape à la curie romaine en 2005, avec l'avertissement d'en finir avec cet esprit de rupture qui, après Vatican II, a trahi la tradition authentique; et enfin la lectio magistralis de Ratisbonne, avec le rappel aux religions d'agir selon la raison et de ne pas céder à la haine et à la violence au nom de Dieu, et les grandes encycliques sur l'amour, l'espérance et la charité dans la vérité.
Des années et des interventions d'une grande vitalité identitaire, de projection de l'Église vers le monde, et donc de reconquête et d'évangélisation. Aujourd'hui, quelque chose a changé. L'état d'esprit est à l'alerte, à un langage plus doux et introverti, qui apparaît à certains comme un abaissement du niveau de la combativité culturelle et théologique.
Le Cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, dominicain, est à Rome pour la réunion ordinaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont il est un membre. «Nous nous retrouvons toujours pour la "feria quarta" (ndt: nom que les chrétiens, à Rome, donnaient au 4ème jour de la semaine), c'est-à-dire le mercredi, comme le faisait autrefois l'Inquisition», dit-il en souriant.
Schönborn a accepté de parler avec Il Foglio de cette nouvelle phase, de l'expliquer et de l'interpréter. Il dit:
"L'Église, aujourd'hui manque d'offensive? C'est vrai. Mais c'est parce que la purification est nécessaire. Si l'Église veut être un guide spirituel pour la société, si l'Eglise veut avoir, comme c'est juste et légitime, ce rôle, elle doit faire face à ses péchés. Parce qu'on ne peut pas rappeler le monde à la vérité, si cette vérité, on n'a pas le courage de la faire sur soi-même. Il semble qu'on soit aux temps des prophètes de l'Ancien Testament. Leurs paroles étaient comme un miroir pour le peuple. C'était une invitation à se regarder, à regarder ses péchés et ses trahisons. C'est Dieu qui à travers les prophètes appelait l'Eglise à la purification, à la metanoia, qui signifie toujours un changement radical et vécu dans la façon de penser et d'agir. Dans l'Église catholique sont commis de graves péchés, comme c'était le cas à l'époque où Paul était à Corinthe, une ville devenue désormais romaine, profondément païenne dans les orientations de vie.
Paul prêcha la purification pour la petite communauté catholique de la ville. Le changement de cap fut remarqué et la ville, à sa manière, ne resta pas indifférente. L'Église doit faire la même chose aujourd'hui. Et c'est la même chose que nous avons décidé de faire à Vienne. Nous avons publié nos lignes directrices sur la pédophilie dans le clergé et nous les avons appelées «La vérité vous rendra libres». Pour moi, pour l'Église en Autriche, cela a été une année très difficile. Nous étions dans la tempête. Nous avons décidé de répondre, en ligne avec la tendance que le Pape a voulu montrer, mettant l'accent sur la pénitence et sur la vérité. Chercher la vérité est une tâche qui peut être douloureuse, mais nécessaire. C'est la seule condition pour avoir la miséricorde de Dieu. Nous vivons à une époque où tout le monde fuit loin de la vérité. L'Église ne peut pas se permettre de le faire".
Schönborn est le cadet d'une vieille famille de la haute noblesse de l'Europe centrale.
"Une famille peu pratiquante - dit Schönborn - mais qui respirait de la grande tradition de l'Autriche catholique, une Église qui fut Église d'État, mais aussi âme de l'empire et du peuple. Une Église d'empreinte constantinienne, où les évêques étaient des seigneurs, qui exerçaient leur pouvoir, avaient une cour, protégeaient les artistes et où les Papes aspiraient à une pompe comparable à celle des Césars. C'est ce modèle d'Église que l'après-Concile a fortement remis en question."
Le théologien dominicain Yves-Marie-Joseph Congar écrivait qui c'est "le mensonge de la Donation de Constantin (1)" qui "empêche l'ouverture à une mission pleinement évangélique et prophétique" de l'Église. L'accusation, particulièrement vive durant l'ère du règne de Karol Wojtyla, quand la grande bataille évangélique s'est concentrée sur la reconquête politique et spirituelle par l'Europe de la liberté religieuse et de ses racines chrétiennes, est toujours la même: la religion de l'antique alliance Constantinienne entre l'Église et l'empire, falsifie la foi, la réduisant à une religion civile, contigüe aux pouvoirs du monde.
Schönborn dit:
"Je ne veux pas nier que la méthode que Dieu a choisi pour se manifester a été l'incarnation. Cela signifie que Dieu s'est fait homme dans l'histoire, et a donc accepté l'institution comme une extension de l'Incarnation elle-même. Ce mystère divin-humain est une invitation au monde à s'approprier la foi comme dimension spirituelle, mais aussi à assumer l'Evangile comme chemin de vie. Ce chemin implique un changement visible dans la société et ses structures, c'est inévitable. Pour qu'une véritable humanisation puisse advenir, la société doit changer aussi au niveau structurel. C'est pour cette raison que les chrétiens ont toujours cherché à transformer la société dans laquelle ils vivent. Ils ont inventé les hôpitaux et les universités. L'incarnation, en ce sens a toujours été quelque chose de visible, de concret. Ce choix que nous pouvons en quelque sorte qualifier de «constantinien» est nécessaire et inévitable".
- Incarner la foi chrétienne dans le monde d'aujourd'hui n'est pas une entreprise aisée. L'Eglise vit dans le monde, mais n'est pas du monde. Sur cette crête, se mène chaque jour une âpre bataille, dans laquelle beaucoup tombent, et pas seulement les prêtres qui péchent et abusent des jeunes.
"L'année dernière, - dit-il - de l'Allemagne voisine, sont arrivées des nouvelles de cas terribles d'abus sur des enfants, qui nous ont marqués mais aussi interrogés. Dans le collège jésuite de Berlin, Canisius, l'un des meilleurs collèges catholiques allemands, on a su qu'au cours des années 70 et 80, plusieurs jeunes ont été abusés. La même chose s'est produite dans la prestigieuse Odenwaldschule de Heppenheim, près de Francfort, l'école où est formée l'élite de l'intelligentsia laïque du pays - ici ont étudié l'ancien président du "MEDEF" allemand, Tyll Necker, le fils de l'écrivain Thomas Mann, Klaus, l'eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit, et un fils de l'ancien président d'Allemagne, Richard von Weizsäcker. Donc, deux cas similaires pour deux écoles très différentes. Ces faits devraient nous aider à réfléchir. Et à reconnaître que tous, nous vivons dans une société qui manque de vertu, qui manque d'une saine gestion de sa propre sexualité, qui manque d'éducation et d'équilibre. Tous, nous en sommes conditionnés, tous nous courons le risque d'en être affectés. Mais à la société, il ne faut opposer ni une attitude rigoureuse et puritaine, ni la permissivité absolue comme dans l'après "Soixante-huit".
En ce sens, la bataille de l'Église est la même bataille à laquelle est appelée la société plus saine, à savoir le dépassement du libertinisme et du puritanisme pour revenir embrasser ce que nous sommes, les vertus bien connues de la grande tradition judéo-chrétienne et également classico-païenne. Ces vertus sans lesquelles le monde n'est rien d'autre qu'une bande de brigands. C'est le defensor civitatis, c'est à dire celui qui sait comment encourager les vertus les plus élémentaires de la vie en commun: la justice, le respect, la serviabilité, l'amitié. L'Europe ne doit pas laisser perdre cet important héritage, qui, comme on vient de le dire a ses racines non seulement dans la culture chrétienne et juive, mais aussi pré-chrétienne et païenne. "
- Ne céder ni au puritanisme ni au libertisme, donc, malgré que la norme éthique s'effondre de plus en plus vertigineusement?
"Que la norme éthique s'effondre est évident. L'utilisation de la pilule abortive, l'avortement, la désintégration de la famille sont des phénomènes courants aujourd'hui. Mais le réseau social et humain ne peut pas être recréé simplement par des décrets et des rappels forts des règles. Bien sûr, les règles sont utiles, mais celles-ci doivent venir de quelque chose qui vit déjà, des vertus qui sont déjà reconnues comme importantes, indépendamment de l'appartenance religieuse. Pour moi, cependant, la grande urgence de l'Europe aujourd'hui reste la famille. Parce que c'est dans la famille que s'apprennent certaines valeurs".
- Aujourd'hui, la famille est un concept qu'il n'est pas facile de circonscrire. La famille traditionnelle avec deux parents est en grande difficulté. Il y a les familles gaye, les famillee élargies, composées de personnes séparées ...
- C'est vrai. C'est la même chose en Autriche. Les familles patchwork sont une réalité bien enracinée. Beaucoup de mariages se dissolvent dans le divorce. Je pense que l'église devrait encourager d'abord par l'exemple. Mais il faut aussi reconnaître qu'il y a beaucoup de vertus chez les personnes vivant dans ces situations. L'église ne doit pas diaboliser, mais observer et valoriser ce qui peut l'être. Je reviens à Saint Paul dans sa lettre aux corinthiens. Lorsque Paul a fondé la petite communauté de Corinthe, il a trouvé devant lui un monde païen et fragmenté. Il n'a pas dit à ce monde: «Vous devez faire ceci et cela». Mais il a créé une communauté chrétienne qui, avec sa charité et sa joie de partager a attiré à elle de nombreuses personnes. Tel est notre défi aujourd'hui. Montrer au monde le charme de notre foi".
Le charme de la foi a marqué le chemin de Schönborn vers la prêtrise. Le cardinal raconte:
"A onze ans, j'ai eu comme professeur de religion un très bon prêtre qui m'a fait découvrir l'amour de Jésus. Vers l'âge de dix-huit, cet l'amour était toujours intact, et encore plus vif. Je choisis donc la prêtrise. Le choix des Dominicains, je l'ai fait quand j'ai rencontré le père Paulus. C'était un intellectuel dominicain amoureux du chapelet. C'est ce contraste entre la piété populaire et une grande intelligence formée à l'école thomiste qui m'a conquis. Sa façon de vivre devint pour moi, et reste encore, un idéal: une vie intellectuelle exigente combinée à une piété simple, populaire. Saint-Thomas dans une main et le chapelet dans l'autre.
En 1964, j'ai commencé mes études. Je me souviens qu'autour de nous, tout s'écroulait. L'année fatidique du changement, en fait, ce ne fut pas 1968 mais 1964, l'année de l'apparition de voix qui voulaient faire du Concile Vatican II ce qu'Henri de Lubac a appelé le "paraconcile". C'est l'année où le théologien dominicain Hollandais Edward Schillebeeckx quitte le thomisme et se jette dans l'herméneutique de l'exégèse moderne. Je suis venu à l'étude de la philosophie et de la théologie juste au moment de l'effondrement de la scholastique thomiste classique, de la formation thomiste classique et alors qu'un nouvel ordre de discipline ne s'était pas encore imposé.
Au départ, j'ai été fasciné par les sciences humaines, la psychologie en particulier, mais encore une fois, une rencontre importante m'a fait changer de direction. J'ai rencontré un moine orthodoxe, André Scrima, qui m'ouvrit la voie vers les Pères de l'Église d'Orient. Je dirais que c'est grâce à Scrima, qui au Concile était le théologien personnel du patriarche oecuménique de Constantinople Athénagoras 1er, que j'ai survécu dans cet environnement où la méthode de l'étude théologique était en profonde mutation.
Scrima parla à mon groupe de Jacques Derrida, alors une figure mythique du paysage philosophique. Il nous fit connaître Maxime le Confesseur, qui est devenu le protagoniste de mes études. Avec Scrima, nous fréquentâmes les Pères de l'Église comme une pensée chaleureuse et authentique, détachée d'un point de vue purement historico-critique.
La vision des Pères était fortement christologique, le divin dans l'humain. Dans cet esprit je me suis arrêté sur le très grand philosophe et cardinal du XVe siècle, Nicolas de Cues, qui parle du Christ comme du maximum concretum. C'est le Dieu concret, vrai, homme et Dieu à la fois. C'est le paradoxe que j'ai étudié dans Vladimir Soloviev, Dieu comme personne divine et humaine, réelle, historique, avec le caractère concret de la chair, cette figure que nous étudions aujourd'hui avec Benoît XVI dans ses livres que nous invitent à dépasser l'approche historico-critique pour saisir le Jésus des Evangiles comme le vrai Jésus ".
Il est temps pour Schönborn de rentrer à l'ancien Saint-Office, pour les travaux de la feria quarta. Puis, la nuit, comme toujours, à la Basilique des Quatre Couronnés. Ici, réside la Communauté de l'Agneau, dont Schönborn est le responsable. Erigée le 6 Février 1983 par Mgr Jean Chabbert, archevêque de Perpignan, elle vit dans la pauvreté et l'austérité: "À la suite de Jésus pauvre et crucifié, sur les traces de nos pères Saint Dominique et saint François, les Petits Frères de l'Agneau, à la recherche de la brebis perdue , prient sans cesse le nom de Jésus, font du porte à porte pour mendier leur pain quotidien".
On comprend beaucoup de Schönborn, appelé au sacerdoce par la rencontre avec un dominicain "intellectuel et amoureux du rosaire", en regardant cette petite communauté. Ses membres dorment sur des lits de bois, avec un matelas très mince. "Moi, dit von Schönborn avec avec délicate autodérision - je dors sur un lit normal."
Publié dans Il Foglio du samedi 4 Juin
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