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jeudi, 04 mars 2010

Saint Pie X et le Cardinal Merry del Val, secrétaire d'Etat

source: EucharistieMiséricordieuse

images.jpegLE CARDINAL RAFAEL MERRY DEL VAL, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE PIE X. PORTRAIT

par Gianpaolo Romanato

Pie X et Rafael Merry del Val : il est difficile d’imaginer deux personnalités plus différentes. Le premier était né, dans la campagne de Vénétie, d’une famille très modeste qui connut les privations et probablement aussi la faim. Il fit ses études grâce à une bourse et passa toute sa vie, avant d’être élu pape, au milieu de pauvres gens, entre presbytères de village et évêchés de province, loin du devant de la scène et des lieux de pouvoir.

Le second, au contraire, venait de l’une des familles les plus aristocratiques du continent, il avait reçu une éducation cosmopolite et polyglotte, était chez lui dans les ambassades et dans les milieux les plus fermés de toutes les capitales d'Europe.

Leurs vies, qui semblaient destinées à ne jamais se rencontrer, se croisèrent presque par hasard et finirent par se mêler à un point tel qu’il est difficile de les disjoindre, même aujourd’hui.

DE SECRÉTAIRE DU CONCLAVE À SECRÉTAIRE D’ÉTAT

Leur rencontre eut lieu au cours du dramatique conclave de 1903, qui fut marqué par le veto de l'Autriche contre l'élection du cardinal Mariano Rampolla del Tindaro et porta au pontificat, en quatre jours et sept tours de scrutin, sous le nom de Pie X, un demi-inconnu, le patriarche de Venise Giuseppe Sarto.

Une étrange coïncidence avait fait que Mgr Alessandro Volpini - le secrétaire de la congrégation consistoriale, qui était également secrétaire du collège des cardinaux et donc du conclave - était mort presque en même temps que Léon XIII, à quelques heures près. Pressés par le temps, les cardinaux lui décidèrent de lui donner comme successeur justement Merry del Val, qui était à ce moment-là président de l’académie pontificale des nobles ecclésiastiques et n’était évêque que depuis trois ans.

Le choix s’était fait entre trois noms. Les deux candidats écartés étaient le substitut de la secrétairerie d’état, Giacomo Della Chiesa, qui allait devenir Benoît XV, et Pietro Gasparri, alors secrétaire aux affaires ecclésiastiques extraordinaires. La préférence accordée au plus jeune et moins titré des trois fut interprétée comme la première défaite de la ligne Rampolla, annonçant ce qui allait se passer au conclave.

C’est ainsi que la lourde charge de préparer et de conduire le conclave le plus difficile des deux derniers siècles tomba sur Merry del Val, qui n’avait pas le droit de vote, n’étant pas cardinal. 

Sarto fit alors sa connaissance et eut l’occasion de l’apprécier tandis que se précisaient les circonstances de son élection. Quelques heures après être devenu pape, il lui annonça à sa grande stupeur qu’il avait décidé de le prendre comme pro-secrétaire d’état. "Pour le moment, je n’ai personne", lui aurait-il dit. "Restez avec moi. Ensuite nous verrons".

La désignation, pour le rôle-clé du pontificat, de cet Espagnol – le premier non-italien à diriger la secrétairerie d’état – âgé de 38 ans seulement, qui aurait pu être le fils du pape âgé de 68 ans, suscita des commentaires et des réserves qui pesèrent sur les événements ultérieurs. Après deux mois seulement de période d’essai, Pie X mit fin aux réserves : le 18 octobre 1903, il le nomma secrétaire d’état et l’éleva également à la pourpre cardinalice. À partir de ce moment, la vie de Merry del Val ne se sépara plus de celle du pape.

DE FILS D’AMBASSADEUR À AMBASSADEUR DU PAPE

Qui était Rafael Merry del Val, dont nous commémorons le 80e anniversaire de la mort ? Né en 1865 à Londres, où son père était ambassadeur d’Espagne, il grandit en Angleterre et en Belgique. En 1885, il fut envoyé à Rome par l'archevêque de Westminster, le cardinal Herbert Vaughan, pour compléter au Collège Pontifical Écossais sa préparation au sacerdoce.

Commença alors l’une des carrières les plus rapides de toute l’histoire ecclésiastique. Selon son biographe Pio Cenci, c’est Léon XIII en personne qui l’aurait imposé à l'académie des nobles ecclésiastiques et l’aurait employé à des missions diplomatiques en Angleterre, en Allemagne et en Autriche avant même son ordination sacerdotale. Il connaissait parfaitement les principales langues européennes, mais la maîtrise des langues ne suffit certainement pas à justifier tant d’attention. Dans une curie pontificale qui s’efforçait à grand-peine de retrouver son rôle et son rang internationaux après la perte du pouvoir temporel en 1870, le descendant de la grande famille anglaise des Merry et de la maison espagnole encore plus illustre des del Val, il faut qu’il ait donné la preuve de talents hors du commun pour brûler les étapes avec tant de rapidité.

Une fois diplômé de l’Université Pontificale Grégorienne, il devint l’un des personnages les plus influents et les plus écoutés de la Rome pontificale, surtout pour les problèmes concernant l'anglicanisme. Sa parfaite connaissance du contexte et de la langue, ses fréquents voyages outre Manche et l’estime du cardinal Vaughan lui conféraient une grande autorité. 

Chargé par Léon XIII de l’épineuse question de la validité des ordinations anglicanes – on en était aux premiers pas, encore incertains et hésitants, sur le chemin de l’œcuménisme – il amena le Saint-Siège à une réponse négative, qui allait être officialisée en septembre 1896 par la bulle "Apostolicae curae", dont il fut le principal rédacteur. Sur la base d’une pratique désormais vieille de trois siècles et d’une minutieuse enquête historique, Léon XIII confirma la "nullité" des "ordinations accomplies selon le rite anglican", niant ainsi la succession apostolique des évêques anglicans. Le mouvement de rapprochement des anglicans en direction des catholiques, qui était en cours depuis un certain temps, connut ainsi un coup d'arrêt et le jeune prélat apparut comme le porte-parole d’une ligne doctrinale sévère, différente, sinon inverse, de la ligne politique de Rampolla, qui était alors secrétaire d’état.

L'année suivante, il accomplit une longue mission au Canada, en qualité de délégué apostolique. Partagée entre les tentations opposées du durcissement et du fléchissement, la jeune communauté catholique canadienne avait appelé Rome à son secours. Merry del Val procéda avec modération, surtout à propos du problème des écoles catholiques dans le Manitoba. Le pape lui témoigna publiquement sa satisfaction dans l'encyclique "Affari vos" du mois de décembre 1897. En termes tout à fait inhabituels dans un document officiel, Léon XIII écrivit que "notre délégué apostolique a parfaitement et fidèlement accompli ce pour quoi nous l’avions envoyé".

Revenu à Rome, il fut mis à la tête de l'académie des nobles ecclésiastiques et nommé évêque. Sa très rapide ascension était due à une solide préparation historico-juridique, à une capacité innée à établir des relations avec tout le monde, et à "l’agilité", comme dira par la suite Benoît XV, avec laquelle il résolvait les problèmes.

Mais tout le monde savait que le diplomate compétent était un prêtre d’une grande piété, aux habitudes monastiques et à l'austère et ascétique discipline de vie.

1903, comme on l’a déjà rappelé, fut l’année du grand bond qui le conduisit au sommet de l'organigramme du Vatican, favorisé d’abord par la mort imprévue de Mgr Alessandro Volpini – qui n’avait pas encore 60 ans – puis par le choix inattendu que fit Pie X, pape nouvellement élu.

L'HOMME QU’IL FALLAIT POUR UN PAPE PEU POLITIQUE ET TRÈS RELIGIEUX

Le nouveau pape, élu justement pour atténuer l'exposition politique excessive du Saint-Siège pendant l’administration de Rampolla, vit en Merry del Val, qui était notoirement étranger à cette administration, l'homme qui saurait imprimer ce virage.

Il évoluait avec aisance dans le monde diplomatique, maîtrisait les problèmes de politique internationale, connaissait parfaitement la curie romaine. En somme, il possédait tout ce qui faisait défaut au pape. En le nommant secrétaire d’état, Pie X comptait sur tout cela. Mais il comptait aussi sur sa jeunesse et sur son dévouement sans limite à la papauté : ce serait un fidèle collaborateur qui ne s’opposerait jamais à lui.

Mais il est certain que Pie X avait également tenu compte d’une autre qualité de Merry del Val : sa vie de piété. L'éloge que le pape Giuseppe Sarto lui adressa le 11 novembre 1903, jour où il lui remit la barrette cardinalice, est tellement inhabituel, y compris dans le langage, qu’il mérite d’être cité intégralement : "La bonne odeur du Christ que vous avez répandue en tous lieux, monsieur le cardinal, y compris dans votre demeure temporaire, et les nombreuses œuvres de charité auxquelles vous vous êtes sans cesse consacré dans vos ministères sacerdotaux, spécialement dans notre ville de Rome, vous ont acquis l'admiration et l’estime de tous".

Les éloges du pape à son collaborateur portaient, plus que sur ses capacités politiques, sur son univers moral, sur les œuvres caritatives en faveur des jeunes du quartier romain du Transtévère auxquelles il se consacrait sans compter. Un pape essentiellement religieux s’était choisi un secrétaire d’état ayant les mêmes caractéristiques.

Les événements du pontificat de Pie X sont bien connus. Les relations avec les états se détériorèrent un peu partout, jusqu’à des ruptures totales. Le cas le plus connu est celui de la France, où fut votée en décembre 1905 la loi de séparation de l’Église et de l’État. Six ans plus tard ce fut le tour du Portugal, qui promulgua une loi encore plus brutale. Des tensions analogues se produisirent dans différents pays latino-américains. Le pape fit peu de choses pour modifier le cours des événements. Il protesta, écrivit des encycliques très fortes, mais il se garda bien de recourir à la voie diplomatique.

Dans le cas de la France, la loi prévoyait que les biens de l’Église seraient gérés par les associations dites cultuelles, dont la hiérarchie ecclésiastique était exclue et qui devenaient un pôle susceptible de se substituer aux évêques. L’objectif était bien évidemment d’attaquer la constitution hiérarchique de l’Église, même si tout le monde ne s’en était pas rendu compte.

Le pape distingua parfaitement le cœur du problème et il opposa un refus net. Ce fut un véritable "legal suicide", comme on l’a dit, parce que l’Église de France, contrainte par Rome à ne pas accepter la loi – le pape écrivit en moins d’un an, en 1906 et 1907, pas moins de trois encycliques consacrées au cas français – perdit la personnalité juridique et avec elle tout son patrimoine, à commencer par les églises où avaient lieu quotidiennement les cérémonies religieuses.

Mais l’Eglise de France retrouva ainsi sa liberté et le plein contrôle des nominations épiscopales, qui incombait jusqu’alors à l’État en vertu du concordat napoléonien. Le choix de Pie X – entre le "bien" et les "biens" de l’Église j’ai choisi le premier, aurait dit le pape – qui obtiendra a posteriori les éloges d’Aristide Briand, l'inspirateur de la loi – "le pape a été le seul à y voir clair" – avait effacé d'un seul coup trois siècles de gallicanisme, d’Église nationale, ramenant le catholicisme français, y compris du point de vue disciplinaire, à la pleine fidélité à Rome.

Ce fut un virage fondamental – "un événement douloureux et traumatisant", comme l’a dit Jean-Paul II dans la lettre qu’il a écrite aux évêques français à l’occasion du centenaire de la loi – qui dérouta les contemporains et continue à diviser les historiens. Ce fut l'occasion qui fit émerger cet idéalisme anti-temporaliste qui, selon différents chercheurs, serait l'aspect véritablement révolutionnaire du pontificat, la grande nouveauté dans les relations entre l’Église et le monde apparue au cours de la décennie de Pie X et Merry del Val.

En somme, avec Pie X, c’est toute une période de l’histoire de l’Eglise qui s’achève, celle des interférences avec la politique, des intrigues diplomatiques, des liens tardifs entre les trônes et les autels, des "évêques en haut-de-forme" et des "cardinaux de cour", des oppositions à certains états et des concessions à d’autres.

Contrairement à son prédécesseur, Pie X n’a jamais fait de "politique étrangère" et n’a jamais tenté d’affaiblir au plan international les pays qui se montraient hostiles à l’Eglise, il n’a jamais cherché à tirer profit des rivalités, des intérêts et des alliances des différents pays. Cette ligne de conduite, à laquelle les historiens n’ont pas encore prêté l'attention qu’elle mérite, n’était pas un repli tactique mais un choix stratégique précis, comme le dit un jour le papa Sarto au futur cardinal Nicola Canali, alors jeune minutante à la curie : "Vous êtes jeune. Rappelez-vous toujours que la politique de l’Eglise est de ne pas faire de politique et d’aller toujours par la voie droite".

ENTRE RENOUVELLEMENT DE L’ÉGLISE ET RÉFORME DE LA CURIE

Merry del Val coopéra avec loyauté et conviction à cette politique, ainsi qu’aux décisions de Pie X tendant à un renouvellement radical de l’Église : de la suppression du droit de veto au conclave, à la réforme de la curie et à la codification du droit canonique.

La réforme de la curie romaine, lancée en 1908, concernait directement ses compétences, qui furent élargies, mais au sein d’un cadre de gouvernement dans lequel la secrétairerie d’état n’était que l’avant-dernier des cinq services du Vatican. Le cœur de la curie de Pie X n’était pas la secrétairerie d’état, comme ce sera le cas avec la réforme de Paul VI, 60 ans plus tard. Il était constitué par les onze congrégations, au sommet desquelles se trouvait le Saint-Office.

C’est peut-être pour cette raison que le rôle de Merry del Val, contrairement à celui de ses prédécesseurs et de ses successeurs, a coïncidé avec celui du pape presque au point de se confondre avec lui. Faisant peu ou pas de politique et s’occupant de gouverner et de rénover l’Église, Pie X retira à la secrétairerie d’état beaucoup de cet espace qui en faisait un acteur autonome et il en renforça le lien avec la papauté elle-même.

Ce lien se resserra encore avec l’affaire du catholicisme moderniste, considérée jusqu’à présent par les historiens comme le vrai "punctum dolens" du pontificat de Giuseppe Sarto.

On a beaucoup écrit sur cette affaire et l’un des points non encore éclaircis concerne justement l’action du secrétaire d’état. Mais que Merry del Val ait été protagoniste ou second rôle, exécutant ou inspirateur, ne paraît pas être un élément décisif de jugement. Ce qui est décisif, c’est qu’il participa pleinement à la ligne antimoderniste du pape et soutint avec conviction la nécessité d’arrêter les instances de renouvellement en lesquelles ils voyaient tous les deux le risque imminent d’une catastrophique crise de la foi.

AVEC PIE X VERS LES AUTELS

Il était inévitable qu’un secrétaire d’état aussi étroitement identifié au pape qu’il avait servi ne soit pas confirmé par le successeur de celui-ci.

En effet, à peine élu pape, le 3 septembre 1914, Benoît XV nomma secrétaire d’état d’abord le cardinal Domenico Ferrata, qui mourut presque tout de suite, puis Pietro Gasparri. On retrouve ainsi à la tête de l’Église les deux évêques – Della Chiesa et Gasparri – qui avaient été dépassés par Merry del Val à la veille du conclave de 1903.

Pour l'ancien secrétaire d’état, les seize années qui lui restaient à vivre ont dû être une période difficile. Benoît XV le traita comme Pie X avait traité Rampolla dix ans plus tôt : il devint secrétaire du Saint-Office – la préfecture de cette congrégation était alors une prérogative du pape – fonction qu’il conserva jusqu’à sa mort, survenue de manière imprévue le 26 février 1930.

Merry del Val conserva une dévotion illimitée envers Pie X : il fut à l'origine de la demande qui lança sa canonisation. Le 20 de chaque mois, jour de la mort du pape, il célébrait une messe à son intention. Il demanda à être enterré "le plus près possible de mon très aimé père et pontife Pie X".

Mais son temps était désormais passé, même si en 1953, sous le pontificat de Pie XII – qui avait commencé sa carrière justement sous ses ordres – une procédure canonique de béatification fut lancée pour lui aussi, alors que Pie X était porté sur les autels, avec sa béatification en 1951 et sa canonisation en 1954.

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